TT des parents : Et si on utilisait les bons mots ? Épisode 7

31 janvier 2024

Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : Histoire et géographie d’un nom – épisode 7 

Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, directeur pédagogique des Talmudei Torah de JEM.

Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud demandait à la Cour Internationale de Justice de juger qu’Israël (signataire de la convention sur le Génocide) manquait à ses obligations (en d’autres termes « commettait un génocide à Gaza ») et d’exiger qu’Israël mette immédiatement fin à ses opérations militaires (ce qu’on appelle en droit une « mesure conservatoire »). 

L’accusation de génocide porté contre Israël n’est pas nouvelle. Le schéma est connu de longue date.  

« L’antisionisme est une introuvable aubaine, écrivait déjà le philosophie Vladimir Jankélévitch dès 1971 [Il y a donc plus de 50 ans !!!!], car il nous donne la permission et même le droit et même le devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort. » 1

“L'antisionisme est une introuvable aubaine, car il nous donne la permission et même le droit et même le devoir d'être antisémite au nom de la démocratie !”

Vladimir Jankélévitch, 1971

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un génocide ? 

Le concept est créé en 1944 par l’avocat polonais Raphaël Lemkin (dont toute la famille a disparu dans la Shoah), dans son livre intitulé Axis Rule in Occupied Europe. Il se compose du préfixe grec genos, qui signifie « race » ou « tribu », et du suffixe latin cide, qui renvoie à la notion de « tuer » (pensez aux pesticides…). 

En 1946, le génocide a été pour la première fois reconnu comme un crime de droit international par l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a été érigé en crime autonome dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, texte ratifié par 149 États (signé en 1950 par Israël et… 1998 par l’Afrique du Sud), dont l’article 2 définit : 

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :  

  1. Meurtre de membres du groupe ;  
  2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; 
  3. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; 
  4. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; 
  5. Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe 

La Résolution 96 de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 11 décembre 1946 définit : « le génocide est le refus du droit à l’existence à des groupes humains entiers, de même que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un individu ; un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, qui se trouve ainsi privée des apports culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit et aux fins des Nations Unies ». 

Le renversement absurde

Les actes précis énumérés dans l’article 2 de la convention qui définit le génocide, avaient à l’époque de leur rédaction un contenu très précis et présent dans les mémoires : l’intention de détruire un groupe humain faisait référence à l’obsession du discours nazi ainsi qu’aux actes administratifs qui, avant le meurtre, révélaient son intention évidente. 

Comme l’écrit Bernard Bruneteau dans Le Figaro du 17 janvier 2024 :  

« C’est au regard de cette vérité première du génocide, un concept juridique et analytique né du sang de l’histoire, que l’accusation de « génocide à Gaza » apparaît sidérante. La destruction non intentionnelle de 1 % de la population palestinienne de Gaza (civils et militaires, et en se fiant au chiffrage du Hamas) peut-elle entrer dans la même catégorie que les massacres de masse intentionnels des juifs polonais (90 %), des Tutsis du Rwanda (80 %), des Arméniens ottomans (60 %), des musulmans de Srebrenica (30 %) ? Quant à la supposée intentionnalité exterminatrice, qui devrait se déduire de comportements annonciateurs, elle apparaît difficilement dans la distribution par Israël, dès le 13 octobre, de 1 million et demi de brochures en arabe et de milliers d’appels téléphoniques appelant à évacuer les zones qui allaient être soumises à des bombardements (et d’où sont parties 9 000 roquettes depuis le 7 octobre…). » 

Nous sommes donc, de nouveau comme régulièrement depuis 60 ans, dans une stratégie de communication très efficace visant à inverser les rôles et les culpabilités. A la Shoah répond l’invention de la Nakba, à la position du juif victime de la haine séculaire occidentale, répond l’inversion : l’israélien génocidaire. 

Comme le rappelle Bernard Bruneteau, cette stratégie n’est pas seulement celle du Hamas et de ses soutiens :  « Lors du procès des Einsatzgruppen, qui se déroula de septembre 1947 à avril 1948, le général SS Otto Ohlendorf relativisa les crimes qu’il avait commis dans le sud de l’Ukraine, soit l’extermination de 90 000 Juifs, dont de nombreux enfants, en les mettant en perspective avec les milliers d’enfants allemands tués lors du bombardement de Dresde. S’insurgeant contre une telle comparaison morale, l’un des juges américains répondit qu’un bombardement relevait d’une tactique militaire dont le corollaire inévitable était la mort de civils qui n’avaient pas été individualisés. Il était clair que le meurtre intentionnel de civils pour ce qu’ils étaient (des Juifs) ne pouvait se comparer aux pertes involontaires de vies civiles lors d’une action de combat. » 

L’ordonnance de la CIJ

Depuis l’accusation, la Cour Internationale de Justice a rendu son ordonnance, immédiatement saluée dans la plupart des médias internationaux comme une immense victoire contre Israël. Cette stratégie de communication de saturation des médias par des messages de victoire n’ayant aucune corrélation avec une vérité factuelle n’est, là aussi, pas nouvelle. 

Car, que dit vraiment l’ordonnance du 26 janvier 2024 de la Cour Internationale 2 ? Et surtout, que ne dit-elle pas ? 

La CIJ conclut simplement qu’Israël doit continuer de faire ce qu’il fait avec toujours plus d’attention : veiller à ce que son armée se comporte humainement autant que faire se peut dans le cadre d’une guerre, empêcher toute forme de génocide et de promotion du génocide et faciliter l’aide humanitaire. 

Point. 

Que demandait l’Afrique du Sud ? Deux éléments fondamentaux :  

  • Que la CIJ accuse formellement Israël de génocide ou au moins d’intention génocidaire 
  • Qu’elle oblige Israël à arrêter toute opération militaire 

Or la CIJ rappelle qu’elle ne juge absolument pas le fond (« le fait qu’Israël commette ou non un Génocide ») :  

« La Cour réaffirme que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. »  

et surtout elle rappelle qu’Israël n’est pas tout seul dans cette histoire :  

« La Cour estime nécessaire de souligner que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire. Elle est gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés et appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. » 

D’ailleurs, il est important de noter que la Cour n’utilise pas le mot « desist » (« cesser ») dans sa décision, ce qui aurait également indiqué qu’elle pensait qu’un génocide était en cours. 

Ce qu’il faut en retenir

La CIJ REJETTE donc la demande principale de l’Afrique du Sud d’ordonner un arrêt des opérations militaires 3 !! Elle se contente de dire qu’il faut que chaque état signataire de la convention contre le génocide la respecte… ce qui ne dit rien de nouveau. 

  • En revanche l’ordonnance intègre l’idée qu’il existe un « peuple palestinien » sans que celui-ci soit clairement défini. Cependant, même la CIJ n’est pas sûr de ce que cette appellation désigne. Son ordonnance dit « Les Palestiniens semblent [souligné par moi] constituer un « groupe national, ethnique, racial ou religieux » distinct, et, partant, un groupe protégé au sens de l’article II de la convention sur le génocide. »  
  • Cependant la CIJ ne dit rien de la crédibilité des allégations de l’Afrique du Sud ni des affirmations de l’Afrique du Sud concernant une prétendue volonté d’Israël de viser volontairement des populations civiles 
  • L’ordonnance consacre au contraire le droit d’Israël à se défendre et rappelle les responsabilités des deux parties 
  • L’Afrique du Sud n’a donc pas atteint son but initial qui était de faire condamner les opérations militaires d’Israël et d’obtenir un arrêté exigeant leur arrêt (c’est la toute première des « mesures conservatoires » qui constituaient l’essentiel de la demande de l’Afrique du Sud) 

Factuellement, l’ordonnance de la CIJ est donc loin d’être une condamnation d’Israël et se contente d’être un texte rappelant que chaque partie doit lutter contre l’idée même de génocide. 

Conséquences et réactions

La France a affirmé envisager de faire part « d’observations » à la CIJ, dans lesquelles elle indiquera notamment « l’importance qu’elle attache à ce que la Cour tienne compte de la gravité exceptionnelle du crime de génocide, qui nécessite l’établissement d’une intention ». 

Le ministère français des Affaires étrangères a par ailleurs rappelé « l’importance » du « respect strict du droit international humanitaire par Israël », et se félicite que la CIJ appelle, « comme la France », à la « libération immédiate et inconditionnelle » des otages détenus à Gaza. Paris réaffirme également « (œuvrer) à un cessez-le-feu ». « Cette décision de la Cour renforce notre détermination à œuvrer à de tels résultats », conclut le communiqué. 

Autre conséquence : Israël envisage, à son tour, de déposer plainte à la CIJ pour « génocide » contre l’Iran. Gideon Saar, membre de la Knesset et ancien ministre de la Justice (2021-22), va s’atteler à constituer un dépôt de plainte pour génocide, les dirigeants iraniens ayant appelé à la destruction d’Israël et soutiennent fermement le Hamas 

Conclusion

Comme l’écrit Gilles-William Goldnadel dans Le Figaro du 15 janvier 2024 : 

« Il y a, pour certains, une forme de plaisir à accuser l’État juif du pire. […] 

Comme le racisme du mouvement de libération nationale du peuple juif, le sionisme, par la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de 1975. Et peu importe que l’ONU abrogea en 1991 ce vote scélérat. La haine satisfaite avait eu son content immédiat de plaisir. 

Même chose pour le rapport du juge sud-africain des Nations unies Goldstone condamnant sévèrement en 2009 Israël pour crimes de guerre après son opération à Gaza. 

Et peu importe que le juge ait fait volte-face en 2011 en condamnant définitivement le Hamas. Le mal était fait. 

Même chose pour la Conférence de Durban en 2001, où l’expression d’un antisémitisme décomplexé s’était exprimée dans la salle comme dans les rues. Et aucune importance si plus tard, les conférenciers furent morigénés. Trop tard, le poison enivrant avait fait son effet . » 

Pourquoi cette obsession d’Israël et des Juifs ? Quid de la Syrie des Kurdes, de la Birmanie des Rohingyas, de la Chine des Ouïghours , du Soudan des chrétiens du Darfour, de la Russie de Grozny, massacreurs de masse mais que personne n’a poursuivi dans les instances internationales ? 

Au fond, peu importe ce que diront les juges. Peu importe que dans quelques mois, on reconnaisse l’extravagance du procédé, le mal est fait. Comme le disait Francis Bacon dans son Essai sur l’athéisme (1597), « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. »

La chose que nous pouvons faire à notre niveau pour lutter contre ce renversement des rôles est toujours du même ordre et consiste en deux étapes :  

  • Utiliser des questions simples plutôt que des affirmations (forcément décrédibilisées car venant de juifs) et notamment de la plus évidente : pourquoi est-ce toujours sur Israël que l’obsession se focalise ? 
  • Rappeler les faits, notamment sur ce que l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice contient et surtout sur ce qu’elle ne contient pas ! 

Am Israël ‘Haï 

Emmanuel Calef 

Notes

1 (Pardonner ? Vladimir Jankelevitch, Edité par Le Pavillon / Roger Maria Editeur, Paris, 1971 , republié dans L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Seuil, 1986 p18-19 ; et aussi Vladimir Jankélévitch, cité par Léon Poliakov, dans Histoire de l’Antisémitisme 1945-1993, p.405, Ed. du Seuil, 1994)

2 L’ordonnance en français est trouvable sur le site de la CIJ

3Voir notamment l’analyse de la juriste Noëlle Lenoir dans Le Point du 28 janvier 2024

4 Imbert de Saint-Amand dans La Cour de Louis XIV (vers 1874) attribue cette maxime à Beaumarchais, Mirabeau, en 1783 dans Le libertin de qualité, l’attribue à Machiavel et Paul Bourget, en 1887 dans Mensonges, l’attribue à Basile.