Talmud Torah des parents : Et si on utilisait les bons mots ? Épisode 5 

3 janvier 2024

Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : histoire et géographie d’un nom…

Nous avons beaucoup parlé dans les épisodes précédents du mot « Palestine ». Mais quid du mot « palestinien » ? Ce n’est pas parce que le substantif « Palestine » était utilisé, qu’il implique automatiquement l’utilisation du mot « palestinien », comme nom ou comme adjectif.

Et effectivement pendant très longtemps, le mot « Palestinien » est relativement rarement employé, et quasiment toujours comme adjectif toponymique pour désigner les divers habitants de la région : on parle de juifs palestiniens aussi bien que d’arabes palestiniens, de chrétiens palestiniens… Le substantif « Les Palestiniens » est, lui, encore plus rarement employé. La plupart de ces quelques rares fois, c’est pour désigner… les juifs de la région !

Foucher de Chartres écrit en 1127 dans sa Historia Hierosolymitana :

« Considérez, je vous prie, et méditez sur la manière dont Dieu, à notre époque, a transféré l’Occident en Orient. Car nous, qui étions occidentaux, sommes maintenant devenus orientaux. Celui qui était romain ou franc est devenu, sur cette terre, galiléen ou palestinien. Celui qui était de Reims ou de Chartres est désormais citoyen de Tyr ou d’Antioche. »

Josse Van Lom, médecin de Philippe II d’Espagne écrit en 1563 dans A treatise of continual fevers: « Therefore the Scots, English, Livonians, Danes, Poles, Dutch and Germans ought to take less blood away in winter than in summer; on the contrary, the Portuguese, Moors, Egyptians, Palestinians, Arabians and Persians, more in the winter than in summer. »

On peut noter ici la distinction entre Palestinians et Arabians…

Comme le rappelle l’historien arabe Muhammad Y. Muslih: “[Before 1918] There was no political unit known as Palestine.” [« [Avant 1918] Il n’y avait pas d’entité politique unifiée appelée Palestine »] Et, de fait, les arabes se voyaient d’abord comme Syriens, ou Libanais et n’auraient jamais pensé se désigner eux-mêmes comme Palestiniens. Ils s’identifiaient eux-mêmes principalement comme « Arabes » ou « Arabes de Palestine » et plus rarement « Arabes palestiniens ». C’étaient les liens arabes, religieux voire tribaux (il n’y a qu’à voir tous les conflits entre grandes familles arabes de la région) qui étaient les constituants les plus importants de leur identité et non un attachement géographique. Les musulmans se sentaient beaucoup plus proches de leurs coreligionnaires, même éloignés dans le monde, que des juifs et chrétiens qui habitaient à côté. A l’époque, vivre dans la région n’implique en rien le moindre sens de « peuple » ou de « nationalité » partagée ou même d’objectif politique commun.

Les accords Fayçal-Chaïm Weizmann de 1919 disent d’ailleurs explicitement dans leurs deux premiers articles :

« Article Premier. – Pour tout ce qui concerne leurs relations mutuelles et à l’occasion des négociations qui pourraient avoir lieu, l’Etat arabe et la Palestine s’inspireront d’un désir d’entente et d’une bonne volonté réciproque et, à cette fin, des représentants arabes et juifs, dûment accrédités, seront désignés et maintenus dans les territoires de l’autre Etat.
Art. 2. – Immédiatement après l’achèvement des délibérations de la Conférence de la Paix, les frontières définitives entre l’Etat arabe et la Palestine seront fixées par une commission nommée à la suite d’un accord entre les deux parties. »

D’après l’historien Zachary Foster, la première utilisation publique du mot « Palestinien » pour désigner les arabes de Palestine se trouve en 1898 chez l’écrivain arabe Khalil Baydas (1874-1949) puis en 1909 chez Farid Georges Kassab pour dire « the Orthodox Palestinian Ottomans call themselves Arabs, and are in fact Arabs » [« Les Palestiniens orthodoxes ottomans s’appellent eux-même Arabes et sont, de fait, des Arabes »]

Pendant les enquêtes de la Commission Peel en 1937, le Secrétaire du Haut Comité Arabe (noter que si ce comité se donnait pour objectif de parler au nom des arabes de Palestine, il ne s’appellera pourtant jamais « Haut Comité Palestinien ») Awni abd al-Hadi déclare : « There is no such country as Palestine. “Palestine” is a term the Zionists invented. There is NO Palestine in the Bible. Palestine is alien to us.» Et jusqu’en 1948, les différents leaders arabes ne parviendront pas à se mettre d’accord pour savoir s’ils se battent pour faire inclure la Palestine dans une Syrie indépendante (ce qui est logique : n’oublions pas ce que nous avions vu dans les premiers épisodes : historiquement la première appellation officielle de la Palestine par les Romains il y a 2000 ans est « Syria-Palaestina ») ou dans un grand état pan-arabe général.

Il n’est alors jamais mention de « Palestiniens ».

Le vrai tournant pour le mot « Palestinien » va se jouer en 1964, quand la Ligue Arabe se rend compte des échecs successifs de toutes ses tentatives pour empêcher les juifs d’avoir un état dans la région. Sur les conseils avisés du KGB, elle créée alors l’OLP, « Organisation de Libération de la Palestine », nomme Yasser Arafat (né au Caire, ville éminemment palestinienne comme chacun sait) à sa tête et change totalement le narratif…

Mais ça, c’est pour le prochain épisode.

On gardera simplement en mémoire cette déclaration de Hafez Al-Assad, dirigeant de la Syrie, à Yasser Arafat lors d’une réunion avec les dirigeants de l’OLP en 1976 : “You do not represent Palestine as much as we do. Do not forget one thing: there is no Palestinian people, no Palestinian entity, there is only Syria! You are an integral part of the Syrian people and Palestine is an integral part of Syria. Therefore it is we, the Syrian authorities, who are the real representatives.” [« Vous ne représentez pas la Palestine autant que nous. N’oubliez pas ce point : il n’existe pas de peuple Palestinien, pas d’entité Palestinienne, il n’y a que la Syrie ! Vous êtes une partie intégrante du peuple Syrien et la Palestine est une partie intégrante de la Syrie. C’est donc nous, les autorités syriennes, qui sommes les vrais représentants. »]

Emmanuel Calef, Directeur Pédagogique des Talmudei Torah