TT des parents Ep1 : Et si on utilisait les bons mots ?
Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : Histoire et géographie d’un nom – Episode 1
Israël ? Palestine ? Depuis de nombreuses années les médias occidentaux utilisent régulièrement ces mots de façon plus ou moins partisane, mais si on veut y voir clair, il faut être précis sur le langage qu’on emploie. Avant toute chose, le mot « Palestine » désigne au cours de l’histoire une zone géographique, un morceau de terre, comme la « Forêt Noire » ou les « Vosges ». Un bout de terre aux frontières fluctuantes, situé grosso modo entre les limites naturelles que forment la mer Méditerranée à l’ouest, la mer rouge et le désert du Sinaï au sud, le désert d’Arabie à l’est et le plateau du Golan au nord.
Mais d’où vient-il et comment sa définition et ses frontières ont-elles évolué ?
Pour comprendre cela, il faut remonter à l’âge de Bronze. A cette époque, entre 14ème et 8ème siècles avant notre ère, plusieurs grands empires bataillent constamment dans cette zone : Egyptiens, Babyloniens, Assyriens, Hittites, Ougaritiques, Phéniciens… Pour compliquer encore un peu les choses, les textes des 13ème et 12ème siècles racontent l’arrivée d’envahisseurs venus de la mer, parmi lesquels un peuple que la Torah appelle les « Pelishtim » פְּלִשְׁתִּֽםי) un mot qui apparaît plus de 250 fois dans le texte biblique).
Une des toutes premières traces écrites que l’on semble avoir de ces Pelishtim (ou Philistins comme les traducteurs français les appelleront) se trouve sur un mur d’un temple de Medinat Habu qui célèbre les victoires écrasantes du pharaon Ramses III (-1186 à -1155) sur les « peuples de la mer », et s’ensuit une longue liste de peuples parmi lesquels un hiéroglyphe qui pourrait (mais les archéologues ne sont pas tous d’accord) se prononcer comme l’hébreu « Peleshet ». Les textes assyriens de l’époque mentionnent eux-aussi ces envahisseurs venus de la mer (probablement de la mer Egée, leur poterie et leur écriture étant sensiblement similaires à celles de la Grèce antique) sous le nom de « Palashtu ».
A l’époque, la zone qui nous intéresse est appelée de multiples noms en fonction de l’Empire (Retenou chez les Egyptiens, Hurru d’après les Hittites…). Le mot « Canaan » semble être un des premiers à devenir « standard » entre les diverses langues vers le 15ème siècle avant notre ère.
Les Pelishtim s’installent sur ce qui est aujourd’hui la bande de Gaza, et développent 5 cités-états, plusieurs autres micro cités, commerce, artisanat, armées… La Torah ainsi que les livres de prophètes racontent comment les Hébreux vont d’abord les éviter puis les affronter pendant très longtemps, au temps du royaume unifié comme après la séparation (vers le 10ème siècle BCE) en deux royaumes : Israël et Juda.
Pelishtim et Judéens perdront progressivement toute indépendance politique et toute autonomie avec le retour des armées assyriennes, égyptiennes… Vers la fin de l’âge de fer au 6ème siècle BCE, les deux peuples subiront de la même manière dévastatrice la puissance de Nabuchodonosor, roi de Babylone. Pour les juifs, c’est le temps de l’exil. Les Pelishtim, eux, disparaissent complètement de l’histoire. A la suite de la destruction par Nabuchodonosor de leurs dernières cités-état comme Ashkelon ou Ekron, plus aucune trace écrite ne fera mention d’eux.
À Babylone, cependant, les Juifs vont non seulement perdurer, mais se renforcer et regagner en prospérité ce qu’ils ont perdu en liberté. Cinquante ans plus tard, lorsque Cyrus, roi de Perse, conquiert Babylone, une partie des Hébreux retourne en Judée pour bâtir un deuxième Temple, tout en demeurant sous la tutelle des Perses.
Mais alors, le mot « Palestine », quand apparaît-il ? Patience, on y arrive !
La première trace écrite d’un mot qui ressemble au mot « Palestine » moderne, se trouve chez Hérodote, au 5ème siècle avant notre ère. Chez lui, comme plus tard chez Strabon par exemple, le mot Palaestina (Παλαιστίνη) désigne (les 7 fois où il l’utilise), une petite partie de cette grande région qu’on appelle à l’époque la « Syrie ». Un morceau de terre côtier, situé entre la Phénicie (aujourd’hui le Liban) et l’Egypte. Bref… la bande de Gaza moderne.
Mais alors, quel rapport entre les Pelisthim et la Syria-Palaestina et que va devenir ce mot ?
On remarquera seulement que le mot פְּלִשְׁתִּֽםי en hébreu biblique vient de la racine פָּלַשׁ . Une racine qui évoque les idées de « pénétrer en force », « s’enfoncer de force ». פְּלֶשֶׁת est traduit dans la plupart des dictionnaires étymologiques par « étrangers » ou « envahisseurs »… et la traduction grecque de la Bible, la « Septante » (datant du 3ème siècle avant notre ère), traduira Pelishtim quelquefois par Phylistieim (Φυλιστιειμ) mais surtout à de multiples reprises par Allophulos ἀλλόφυλος, un mot qui veut explicitement dire… étranger. Quiconque se réclame de ce nom pour asseoir une possession terrestre dit donc de lui-même qu’il est… étranger à cette terre dont il se prétend possesseur…
La suite… au prochain épisode.