Talmud Torah des parents : Et si on utilisait les bons mots ? Episode 8
Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : Histoire et géographie d’un nom – épisode 8
Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, directeur pédagogique des Talmudei Torah de JEM.
Les épisodes précédents de l’histoire des mots « Palestine » et « Palestinien » nous ont rappelé à quel point ils étaient galvaudés et utilisés la plupart du temps de manière floue, partisane, ignorante de l’histoire,…
Nous avons vu que jusque très tard les dirigeants arabes n’hésitaient pas à déclarer :
“There is no such country as Palestine” [Il n’existe pas de pays tel que la Palestine] (Awni abd al-Hadi, 1937)
“Do not forget one thing: there is no Palestinian people, no Palestinian entity, there is only Syria!”
[N’oubliez pas une chose : il n’y a pas de peuple palestinien, il n’y a pas d’entité palestinienne, il n’y a que la Syrie !] (Hafez al-Assad, 1976)
1948 : la guerre pour la survie
Quand, le 29 novembre 1947, l’ONU adopte une résolution approuvant le découpage du Mandat Britannique pour la Palestine en 3 parties (un état juif, un état arabe et une zone internationale), les juifs commencent à préparer leur nouvel état mais les leaders du monde arabe rejettent en bloc la résolution de l’ONU et commencent à préparer la guerre.
« Les arabes n’accepteront jamais un état juif sur un seul centimètre carré de la Palestine » déclare le porte-parole du Haut-Comité Arabe (toujours pas « Palestinien »…).
La Syrie et la Jordanie commencent à infiltrer des troupes dès janvier 1948, 5 mois avant que les Britanniques ne quittent la région et quand en mai 1948 l’état d’Israël proclame son indépendance, les pays arabes déclarent la guerre.
« Nous vous effacerons de la surface de la Terre […] Ce sera une guerre d’extermination et un massacre mémorable dont on se souviendra comme des massacres mongols et des Croisades » déclare à New York le 15 mai 1948 le secrétaire général de la Ligue arabe.
A la grande surprise des arabes, ils ne parviennent pas à détruire le tout jeune état d’Israël. Pire, quand la poussière retombe et que les armes se taisent, les opérations militaires ont créé une nouvelle partition de facto (et non de jure) où :
- Une partie de l’ancienne Palestine mandataire (plus grande que celle prévue par la résolution de l’ONU de 1947) est maintenant un nouvel état appelé Israël
- Le reste est divisé entre 3 états arabes : Gaza est administré par l’Egypte, la petite ville de Al-Hamma en Galilée par la Syrie et la rive ouest du Jourdain, comprenant Jérusalem, par la Jordanie.
Les Egyptiens n’annexèrent pas la bande de Gaza mais l’administrèrent comme Palestine occupée (!). Al-Hamma fut traitée comme une ville syrienne et en 1950 la Jordanie annexa officiellement les zones sous son contrôle et donna la citoyenneté jordanienne à toutes les personnes habitants ces zones… sauf les juifs.
Pas un seul doigt ne fut levé par personne pour créer le moindre état Palestinien arabe.
Si Israël avait perdu la guerre, le territoire aurait été divisé entre ses voisins arabes ou rattaché à la Syrie ou à l’Egypte et le mot « Palestine » aurait probablement disparu dans les oubliettes de l’histoire.
A ce moment de l’histoire, le monde est majoritairement favorable à Israël, qui vient de se faire agresser par des forces supérieures et qui a miraculeusement survécu.
Comment les choses vont-elles évoluer pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui ?
Les conséquences du choix du nom « Israël »
Linguistiquement parlant, la création du nouvel état qui choisit de s’appeler « Israël » et non « Palestine » va grandement influer l’évolution du sens et de l’usage moderne du mot. Avant 1948, le mot « Palestinien » était régulièrement utilisé partout dans le monde pour désigner le Yichouv, population juive de Palestine avant l’établissement d’Israël.
Le journal aujourd’hui appelé « Jérusalem Post » s’appelait alors, « The Palestine Post ».
L’édition française de 1934 du dictionnaire Larousse montre un proto-drapeau palestinien qui laisse peu de doutes sur ce qu’il désigne :
La banque qui deviendra la banque nationale Israélienne s’appelle alors :
Il existe même un orchestre symphonique de Palestine… créé en 1936 par des juifs ayant fui l’Europe et dirigé par Arturo Toscanini. En 1948, l’orchestre change son nom et devient le « Israel Philharmonic Orchestra »
En 1936, Franz Krauss établit cette célèbre affiche touristique :
Krausz fuyait le nazisme et dessina un certain nombre de posters et d’affiches pour les groupes sionistes souhaitant encourager l’immigration juive. Cette affiche ressortit dans les années 1990 à l’occasion des accords d’Oslo grâce à David Tartakover voulant exprimer son souhait de coexistence. Avec l’échec d’Oslo et l’intifada, les mouvements palestiniens pensèrent que cette affiche était une preuve de l’ancienneté et de l’historicité de leurs affirmations nationalistes indépendantes et la réutilisèrent à cet effet, sans savoir sa réelle origine.
Mécaniquement, le mot « palestinien », adjectif ou nom, est alors progressivement remplacé par le mot « israélien ». Le mouvement nationaliste arabe se rend compte de sa disponibilité et va l’utiliser de plus en plus, jusqu’en 1964 où il ne désignera que la partie arabe de la population de la région.
Pourquoi 1964 ?
Israël jouira du soutien médiatique jusqu’en 1967 en traversant 3 guerres avec les pays arabes voisins : 1948, 1956 et 1967.
Pendant cette période, l’idée d’une identité nationale palestinienne arabe ou d’un état palestinien arabe sont éclipsées par les projets concurrents de la Syrie et de l’Egypte de rattacher l’ancienne Palestine mandataire britannique à la Syrie ou à un grand état panarabe dirigé par l’Egypte.
Mais en 1964, la Ligue arabe a une idée de génie qui va en quelques années renverser la situation : elle créée l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Au départ, l’OLP semble plus un mouvement fantoche qu’autre chose. Comme l’écrit l’historien Hussam Mohamad : « Indépendamment de l’affirmation selon laquelle la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964 était nécessaire pour combler un vide dans la vie politique des Palestiniens, la nouvelle organisation était le fruit des rivalités inter-arabes et de la politique de puissance. En fait, c’est le président égyptien Nasser qui, lors de la Conférence du Sommet arabe de 1964, a recommandé la création de l’OLP […] La structure et les objectifs de la nouvelle organisation palestinienne étaient simples : […] en faire une organisation élitiste dont la responsabilité était de répondre davantage aux intérêts de certains États arabes qu’à ceux du peuple palestinien. »
Cela se voit jusque dans la Charte initiale fondatrice de l’OLP de 1964, dans laquelle l’absence de toute référence à un quelconque état palestinien fascine. Plus encore, l’affirmation selon laquelle « Le peuple arabe de Palestine est une partie inséparable de la nation arabe » ou « Le peuple palestinien croit fermement en l’unité arabe » est répétée à de nombreuses reprises. L’article 12 par exemple dit :
« L’unité arabe et la libération de la Palestine sont deux objectifs complémentaires. Chacun d’eux aide à réaliser l’autre. L’unité arabe mène à la libération de la Palestine, et la libération de la Palestine conduit à l’unité arabe. Travailler à ces deux objectifs doit aller de pair. »
En revanche les expressions « peuple palestinien » et « peuple de Palestine » sont omniprésentes.
L’ONU lui-même, jusqu’en 1964, utilise dans la plupart de ses documents officiels le mot « Palestine » pour désigner le territoire et le mot « Arabes » – pas « Palestiniens » – pour parler des réfugiés des diverses guerres.
C’est le moment de bascule où le mot « Palestinien » va pouvoir commencer à servir de support linguistique international à un tout nouveau mode de communication. Si on ajoute à cela la victoire militaire d’Israël à peine 3 ans plus tard, en 1967, le monde est prêt à ne plus voir en Israël le faible dans son conflit asymétrique au monde arabe qui ne veut pas de son existence, mais le fort qui écrase ce « peuple palestinien » purement arabe qui vient de naître dans un texte officiel.
David va devenir Goliath dans les yeux des médias mondiaux…
Mais ça, c’est pour le prochain épisode…
PS : dans les prochains épisodes nous parlerons aussi du mot « Naqba », du mot « réfugié » dans le contexte israélo-arabe,…