Talmud Torah des parents : Épisode 15

11 juin 2024

Et si on utilisait les bons mots ? – épisode 15 
Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, Rabbin en devenir. Ancien directeur des Talmudei Torah JEM

Dans les derniers épisodes sur le mot compliqué de « Nakba », nous avons vu :

  • Que son utilisation au départ désignait, pour les écrivains arabes eux-mêmes, la faillite des états arabes à entrer dans la modernité
  • Que son utilisation avait progressivement évolué vers un usage exclusivement victimaire en occultant toute responsabilité arabe
  • Que le choix du mot « Nakba » cherchait à faire un parallèle avec le mot « Shoah » et que dans l’interprétation de nombreux historiens et philosophes, cela s’inscrivait dans une recherche de récupération voire de remplacement victimaire et de délégitimation du narratif juif (« nous sommes les victimes des victimes »)
  • Que les arabes de l’ancienne Palestine mandataire et leurs descendants étaient les seuls réfugiés au monde à avoir une agence pour eux tous seuls (UNWRA), au financement différent de l’agence s’occupant de tous les autres réfugiés (UNHCR) et que la définition de ce qu’est un « réfugié » était aussi unique dans le cas palestinien et différente de tous les autres réfugiés.
  • Que si le mot « Palestine » avait une histoire très facile à retracer, il n’en était pas de même du mot « Palestinien » et que le sens donné aujourd’hui à ce mot comme s’il avait toujours été, est en fait très récent.

Nous avons rappelé :

  • Qu’il n’y a qu’un seul micro-état juif, là où il y a des dizaines d’états chrétiens et musulmans
  • Qu’historiquement les différents plans de paix ont été acceptés par Israël et rejetés massivement par les Etats arabes puis par les représentants palestiniens
  • Que la guerre autour de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël était à l’unique initiative des pays arabes environnants, avec une intention génocidaire totalement assumée et publiquement déclarée
  • Que les déplacements de population comme conséquence de cette guerre et des suivantes, s’étaient fait dans 2 sens : arabes quittant le territoire d’Israël et juifs forcés de quitter tous les pays arabes.
  • Que le résultat de ces déplacements de population est une population arabe représentant aujourd’hui 20% de la population israélienne alors que la population juive a quasiment été complètement éradiquée des états arabes environnants
  • Que la plupart des transfert de population qui ont déchiré le monde au XX° siècle sont réglés,… pas celui des arabes d’ancienne Palestine mandataire et de leurs descendants
  • Que les arabes des villes de Gaza et de Cisjordanie continuent depuis des décennies d’être victimes des choix politiques, militaires ou terroristes de leurs propres dirigeants, des luttes intestines extrêmement violentes voire barbares entre ces dirigeants, de la corruption endémique de ces dirigeants, profitant des millions de dollars d’aides envoyés chaque année, des choix des états arabes environnants,… au moins autant que des choix politiques ou militaires israéliens.

Alors pourquoi ce narratif de la “Nakba” a-t-il autant de succès ?

Pourquoi autant de succès ?

Le 11 juin 2018, la municipalité de Bezons a inauguré une « Allée de la Nakba – En mémoire de l’expulsion des 800 000 palestiniens et de la destruction de 532 villages en 1948 par le criminel de guerre David Ben Gourion pour la création de l’Etat d’Israël ». Cette plaque en français était doublée de sa version en arabe. 

Pour Shmuel Trigano : « tout ceci n’est possible que parce que l’Occident se sent coupable [de la Shoah et des milliers d’années de persécutions chrétiennes]. Et c’est parce que l’Occident se sent coupable et que les propagandistes palestiniens l’ont bien compris, qu’ils s’adressent à l’Occident comme cela, pour drainer cette culpabilité. » 

La peur de prendre parti

La dynamique médiatique moderne semble imposer aux dirigeants et personnes à haute visibilité de ne jamais prendre de position claire, de toujours être à l’équilibre, quelles que soient les situations, sous peine d’être accusés d’être « one-sided », partisans, donc par définition déconsidérés puisque partiaux. Le narratif de la Nakba permet aux Occidentaux en quête de cette neutralité d’apparence, de prétendre à un équilibre entre Nakba et Shoah et donc de ne pas être attaquables sur leur « neutralité ». 

L’aide russe

1964 : les premières réunions du bloc soviétique (archives Mitrokhine et témoignage de Ion Mikhail Pacepa, ancien général des services secrets roumain pendant la guerre froide https://fr.wikipedia.org/wiki/Ion_Mihai_Pacepa, voir notamment son livre « Horizons rouges ») reprennent en main tout le narratif palestinien en vue de séduire ce que Lénine appelle « les idiots utiles de l’occident ». Ils réorientent progressivement le narratif pour en faire la « dernière cause anticolonialiste », ce qui a des conséquences aujourd’hui dans tous les campus universitaires, non seulement américains mais aussi français et européens. 

Pacepa écrit dans le Wall Street Journal du 12 janvier 2002 :  

« Je me suis directement impliqué avec Arafat à la fin des années 1960, à l’époque où il était financé et manipulé par le KGB. Pendant la guerre des Six Jours en 1967, Israël a humilié deux des États clients arabes de l’Union soviétique, l’Égypte et la Syrie. Quelques mois plus tard, le chef des renseignements étrangers soviétiques, le général Alexandre Sakharovski, a atterri à Bucarest. Selon lui, le Kremlin avait chargé le KGB de « réparer le prestige » de « nos amis arabes » en les aidant à organiser des opérations terroristes qui humilieraient Israël. L’atout principal du KGB dans cette entreprise commune était un « marxiste-léniniste dévoué » – Yasser Arafat, co-fondateur de Fatah, la force militaire palestinienne. » 

Et dans Russian Footprints publié le 24 août 2006 dans National Review1 : “En 1972, le Kremlin a décidé de retourner le monde islamique tout entier contre Israël et les États-Unis. Comme me l’a dit le président du KGB, Iouri Andropov, un milliard d’adversaires pourraient infliger à l’Amérique des dégâts bien plus importants que quelques millions. Nous devions inculquer une haine à la manière des nazis envers les Juifs dans tout le monde islamique et transformer cette arme des émotions en un bain de sang terroriste contre Israël et son principal partisan, les États-Unis. Personne au sein de la sphère d’influence américano-sioniste ne devrait plus se sentir en sécurité. » 

La Russie a mis tout le pouvoir du KGB au service de la propagande arabe palestinienne, et de la formation des terroristes. La Russie avait compris très tôt l’importance de la victimisation dans l’univers occidental et l’utilise de manière abondante dans ses conseils de communication aux dirigeants terroristes. 

D’où le développement de grands thèmes de propagande qui vont avoir un écho formidable dans le monde occidental qui s’est construit sur 2000 ans de christianisme : 

  • La notion de péché originel  
  • L’implantation de l’idée de Peuple usurpateur 
  •  

Se développe donc toute une communication pour dire que le « vrai » peuple d’Israël, ce sont les « palestiniens » (un mot dont on a vu dans les épisodes précédents qu’il désignait au départ plutôt les juifs que les arabes qui se voyaient surtout comme « arabes » ou comme « syriens ». Un mot qui donc, là aussi, a été pris comme substitution). Jusqu’à Arafat disant en 1982 (puis le reprenant de nombreuses fois par la suite) que les palestiniens sont « les juifs des juifs » et que « Jésus était le premier palestinien ». La communication est savamment dosée pour avoir un écho dans le monde occidental christianisé de manière plus ou moins consciente. 

Cette substitution de l’ancien Israël par un « nouvel Israël » ne peut que faire écho dans le monde chrétien où pendant des siècles, l’Eglise s’est officiellement présentée comme le « Verus Israël », le « vrai Israël ». 

Parallèles avec les poncifs antisémites du monde chrétien

Comme le déclare Shmuel Trigano : aujourd’hui « la condition victimaire fonde la légitimité » 

Le blood libel 

Le « blood libel » (accusation de meurtre rituel) antijuif est une fausse allégation historique selon laquelle les Juifs auraient utilisé le sang d’enfants chrétiens dans des rituels religieux, notamment pour la préparation de la matza de Pessa’h. Ces accusations, apparues au Moyen Âge, ont été utilisées pour justifier de violentes persécutions et pogroms contre les communautés juives en Europe. Ces mythes ont perduré et ont été repris et réinterprétés dans des contextes antisémites modernes pour déshumaniser et diaboliser les Juifs. Par l’entremise d’articles, de caricatures, de photos, on retrouve aujourd’hui l’accusation du Juif (sous la figure d’Israël) comme meurtrier volontaire d’enfants (historiquement chrétiens, aujourd’hui arabes musulmans) : 

Le journaliste suédo-algérien Yahya Abu Zakariya a répété l’accusation ancienne selon laquelle les Juifs utilisaient le sang d’enfants chrétiens pour fabriquer la matza de Pessa’h. 

Jésus le premier palestinien

L’idée étant de mourir en tuant des juifs pour accéder au Paradis (un acte par définition religieux, n’en déplaise à ceux qui voudraient réduire le conflit à une composante de pauvreté et de misère), on peut lire dans de nombreux documents palestiniens et dans les déclarations des chefs des divers mouvements terroristes, l’idée que Jésus est le premier palestinien, faisant donc du Shahid un Jésus ou réciproquement de Jésus le premier Shahid : mort des mains des juifs pour sauver son monde. Ce narratif ne peut qu’avoir un écho résonnant très fort dans le monde occidental christianisé qui prétend oublier qu’il a une histoire profondément chrétienne. 

Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées

Autre élément qui revient régulièrement dans le discours anti-israélien qui se déguise en discours propalestinien : l’impression qu’Israël n’est pas à sa place, que cet espace lointain (pour les occidentaux) est finalement une terre naturellement musulmane [et donc quelque peu barbare – renouant avec le mépris colonisateur d’occidental sûr de lui et dominateur… – ce qui fait qu’on excuse plus volontiers les comportements inhumains des groupes terroristes] et donc qu’au final, Israël n’a rien à faire là. Chacun devrait être chez soi, et les juifs… sans terre. 

Mahmoud Ahmadinejad, ancien président de l’Iran, ne disait rien de plus quand il déclarait qu’« Israël était une tache dégoutante dans le Monde Islamique » qu’il convenait d’éliminer. 

Beaucoup d’analystes pointent donc du doigt le retour de moins en moins caché du souhait de rétablissement de la Umma, la grande Terre par définition musulmane dès qu’un musulman y a un jour régné. Ce qui pose la question de Vienne et de l’Espagne… 

La nouvelle Nakba

Après l’inversion victimaire du narratif des déplacements de population de 1948, la même stratégie a été appliquée aux suites du 7 octobre 2023 : de même que tout le monde fait semblant d’oublier que les déplacements de population de 1948 sont la conséquence de l’échec de la guerre d’extermination lancée par les pays arabes environnant Israël, de même tout le monde fait semblant d’oublier aujourd’hui que les morts de Gaza sont la conséquence de l’attaque barbare du Hamas le 7 octobre. 

Vers l’avenir

Le fait de continuer année après année, à grand renforts de publicité internationale, de faire monter la popularité du « jour de la Nakba » (Yom haNakba… comme c’est étrange cette proximité avec un certain… Yom haShoah) contribue-t-il à améliorer les relations ? Montre-t-il une volonté des dirigeants arabes d’apaisement et de vie ensemble comme ils le prétendent en permanence ? Cette journée aurait-elle une quelconque visée afin de faire avancer les choses, de parvenir à des règlements pacifiques, ou tout l’opposé : ce serait l’occasion de révoltes, d’actes terroristes, de rejet total de l’état d’Israël ? 

Cette réactivation annuelle est-elle tournée vers la destruction ou vers la construction mutuelle ? 

Et si l’on parle de cette journée de « la catastrophe », il est intéressant de remarquer que celle-ci n’existait pas jusqu’en 1998 où celle-ci fut décrétée par Yasser Arafat, cet homme de « paix » qui déclarait ouvertement « Je suis un révolutionnaire. J’ai consacré ma vie à la cause palestinienne et à la destruction d’Israël. Je ne vais pas changer ou faire des compromis. Je n’accepte rien de ce qui peut aider à faire reconnaît Israël comme un État. Jamais … Mais je suis toujours prêt à faire en sorte que l’Occident croit que je veux ce que Frère Ceausescu me demande de faire »2. 

Le retour de la dépendance et de la dhimmitude

Les demandes médiatiques mondiales sur la force qu’Israël a le droit d’utiliser pour se défendre posent question sur leur objectif réel et leur contexte.  

Dans quels conflits entend-on parler d’un pays qui prévient en avance des attaques qu’il va mener ?  Dans quels conflits entend-on parler d’un pays qui se défend contre une attaque barbare en livrant de la nourriture et du carburant à l’ennemi qui vient de massacrer ses citoyens ?  

On ne peut pas s’empêcher de penser aux étudiants ayant envahi un bâtiment de l’université de Columbia aux Etats-Unis, le bloquant violemment (le 30 avril 2024, des manifestants pro-palestiniens ont pris le contrôle de Hamilton Hall, barricadant les portes et prenant temporairement en otage plusieurs agents de nettoyage) et exigeant de l’université qu’elle fournisse des plateaux repas en respectant les spécificités alimentaires – vegan, végétarien, sans gluten… – des “révolutionnaires”, et appelant ces repas “aide humanitaire” à l’ahurissement des journalistes présents sur place ici. 

Dans quels conflits n’impliquant pas Israël a-t-il été aussi extensivement fait usage de la notion de « proportionnalité » de la réponse ? Ce mot, qui apparaît beaucoup dans les médias notamment européens est-il apparu aussi fréquemment quand les pays européens sont intervenus en Syrie contre DAECH ? Les Etats européens ont pourtant été responsables de nombreux bombardements ayant fait des dizaines de victimes collatérales [1][2][3][4][5][6] 

Quand les médias occidentaux évoquent l’idée de poursuivre à la cour pénale internationale les dirigeants de l’Etat d’Israël aussi bien que de simples soldats de son armée, la question ne peut que se poser : pourquoi ne penser qu’à Israël ? 

Et, dans ces conditions, comment permettre à Israël de faire le nécessaire travail d’enquête sur le fonctionnement de sa propre armée, et de mettre en accusation ses propres citoyens qui le mériteraient ? 

Cette volonté de brider la capacité d’Israël à se défendre de manière indépendante est-elle le reflet d’une volonté inconsciente de maintenir l’état des juifs dans la même situation de dépendance inféodée que celle qu’ils ont eu pendant des siècles aussi bien dans le monde chrétien que dans le monde musulman : le statut de Dhimmi ?