Talmud Torah des parents : Épisode 10

3 avril 2024

Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : Histoire et géographie d’un nom – épisode 10 : la Nakba (2) 
Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, directeur pédagogique des Talmudei Torah de JEM.

Nous avons vu au dernier épisode que le mot « Nakba » avait au départ un sens bien différent de celui que ce que son utilisation contemporaine laisse supposer. Dans le cadre d’une stratégie de communication victimaire très efficace s’appuyant sur le principe du renversement de culpabilité, son utilisation a évolué pour devenir aujourd’hui un mot tentant de remplacer, ou au moins de se mettre au niveau du mot de « Shoah ».  

Dans cet épisode et les prochains nous distinguerons entre deux questions : 

  • Les faits historiques concernant la guerre de 1948 et le double transfert de population qu’elle a engendré 
  • La compréhension du modèle de communication mis en place par le monde arabe, notamment via le mot « Nakba », dans quel objectif et en visant quel public 

Les réfugiés

Quand en 1948 les pays arabes attaquent Israël naissant juste après sa déclaration d’indépendance, la guerre qui suit va, comme toutes les guerres, générer des transferts de population parfois violents. Le XXème siècle porte les conséquences concrètes de l’émergence des nationalismes au XIXème et s’est construit sur cette idée que pour éviter des bains de sang, il fallait que chaque nation/peuple/ethnie… puisse vivre séparément. 

La surprise vient du fait que le monde médiatique moderne a quasiment oublié la plupart de ces transferts, ou les a considérés comme normaux, malgré leur lot de souffrance, de misère, de morts et de massacres, pour ne se focaliser que sur un seul : Israël. 

Les transferts de population au XXème siècle

Pour n’en citer que quelques-uns des plus importants, n’oublions pas : 

  • La partition Inde / Pakistan en 1947 a engendré environ 16 millions de déplacés pour une estimation d’environ 1 million de morts 
  • En Europe même, un événement quasiment oublié de tous : l’expulsion des Allemands en Europe centrale et orientale après la Seconde Guerre Mondiale (principalement des territoires annexés par l’Union soviétique et la Pologne, mais aussi de Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie…) : entre 12 et 16 millions d’Allemands réfugiés au total entre 1945-1951. Les statistiques officielles allemandes estiment environ 2 millions de morts 
  • Et même plus tôt, en 1921-1922 le partage de la Haute-Silésie entre l’Allemagne et la Pologne provoque des déplacements des deux populations 
  • Balkans  
    • Bulgarie 100 000 entre 1912 et 1914 
    • 1940 : traité de Cracovie, 100 000 roumains échangent avec 60 000 Bulgares 
    • 1990 : Guerres de Yougoslavie : nombreux échanges de populations Serbes/Croates/Bosniaques… 
    • 1999 : guerre de Kosovo : 800 000 albanais (sur une population d’1,5 million !) et 200 000 serbes et Roms fuient le Kosovo 
  • Génocide arménien : déplacements de populations grecque et turque au milieu de massacres 
  • 1919-1923 : échange de population entre Grèce et Turquie : les musulmans grecs (environ 350 000) sont chassés vers la Turquie et les chrétiens orthodoxes de Turquie (environ 200 000) vers la Grèce 
  • Union Soviétique après la Seconde Guerre mondiale force des déplacements (Musulmans tartares, ukraine, Crimée,…) 
  • Années 1920 : rébellions kurdes contre la Turquie qui résultent en centaines de milliers de réfugiés kurdes déplacés. Les conflits récents ont déplacé plus de 3 millions de Kurdes, dont un million étaient encore des réfugiés en 2009 
  • Etc… 

Dans ce contexte, comment se positionne le conflit de 1948 entre Israël et les pays arabes qui l’attaquent ? 

Un double exode

Le mot « Nakba » a été progressivement communiqué comme la « catastrophe » de l’établissement de l’état d’Israël, mais il ne faut pas oublier que c’est en fait avant tout la catastrophe de l’échec d’une guerre qui s’est dès le départ présentée ouvertement, officiellement et publiquement sans aucun complexe comme une guerre d’extermination (voir épisodes précédents)  

Pour autant cela ne veut pas dire que les populations qu’elles soient arabes, juives, ou autres, n’aient pas souffert de cette guerre et qu’il n’y ait pas eu de déplacements de population. Avant d’analyser le pourquoi Qu’en disent les historiens et les chercheurs aujourd’hui ? 

Côté arabe :  

L’ONU1 estime en 1951 environ 711000 réfugiés arabes. L’historien Benny Morris2, qu’on peut difficilement accuser de biais pro-israélien, estime environ 7000003. 

Cependant, il faut se souvenir que regarder uniquement le total peut être trompeur. De nombreux historiens et chercheurs (Benny Morris, Rosemarie Esber…) ont séparés ce chiffre en 4 phases :  

  • 100 000 : L’élite aisée de la population arabe de la Palestine mandataire fuit AVANT le déclenchement de la guerre pour aller se réfugier dans les pays arabes environnant en attendant de revenir après la fin du conflit 
  • Environ 350 000 fuient pendant les combats pour diverses raisons dont nous parlerons plus loin 
  • Environ 90 000 suivent les armées arabes quand elles leur disent de partir 
  • Environ 160 000 restent après la guerre 

Côté juif :  

Un des aspects frappants du discours médiatique moderne autour des événements de 1948 et de la « Nakba » est la totale disparition du déplacement de population juif. Et pourtant ! Au total entre 900000 et un million de juifs ont dû fuir (ou ont été expulsés) de pays arabes ou musulmans dans le monde :  

Environ 650 000 de ces juifs se sont réfugiés dans l’Israël naissant qui luttait pour sa survie, et le reste s’est réparti majoritairement aux Etats-Unis et en Europe. 

Ces tableaux montrent de manière frappante la quasi-disparition des juifs dans le monde arabo-musulman. Une des plus frappante est celle de l’Irak, la communauté juive étant installée et parfaitement intégrée à cette région depuis plus de 2500 ans : suite à l’invasion de la Judée par Nabuchodonosor, les judéens sont emmenés en exil à Babylone et vont y établir une communauté florissante qui produira parmi les académies talmudiques les plus renommées qui rédigeront notamment le Talmud de Babylone. 

A l’inverse, la population arabe de la partie de Palestine mandataire correspondant à l’actuel Israël et aux territoires contrôlés par l’Autorité Palestinienne et à la bande de Gaza était d’environ 1,3 millions en 1948. En 2023, la bande de Gaza comptait environ 2,1 millions à elle seule, et la Cisjordanie 3,2 millions soit 5,3 millions au total, sans compter environ 1 million d’arabes israéliens. En 75 ans, la population arabe de la région a donc été multipliée par 5. 

Que s’est-il passé des deux côtés ? Et pourquoi toutes les populations déplacées mentionnées au début de cet article ont-elles été intégrées dans leur pays d’accueil alors que les arabes de Palestine Mandataire ont été forcés de devenir des « réfugiés perpétuels » ? Et surtout, comment le narratif de la « Nakba » a-t-il été conçu et pourquoi a-t-il autant de succès en Occident, au point qu’on puisse trouver en France ceci :  

Nous verrons cela… au prochain épisode.