Nuit de Chavouot 5784 : Am Israël Haï
Cette année, la Nuit de Chavouot a lieu du mardi 11 au mercredi 12 juin sur tous les sites JEM. Le thème de cette année est Am Israël Haï (Vie au peuple d’Israël !).
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« Nous nous souvenons tous du moment précis où nous avons pris la chute du mur de Berlin, l’effondrement des tours jumelles à New York, l’attentat du Bataclan. Le 7 octobre, j’étais de bon matin en Méditerranée, face à une mer bleue et calme … le téléphone crépite. Nous apprenons l’attaque, l’horreur. Sur le WhatsApp familial, notre cousin Ishai, d’Israël : je suis inquiet, pas de nouvelle de Carmela… deux heures après toujours pas de nouvelles de Carmela.
Nous apprendrons quelques jours plus tard que Carmela, notre cousine, et sa petite fille Noia, qui demeuraient au Kibboutz Nir Oz avaient été massacrées par le Hamas, ses petits-enfants kidnappés. Ils ne furent pas les seuls… Colère, sidération, tristesse, nuits blanches.
Comment penser l’avenir après ce choc ?
Nous devons nous battre, contre ceux qui nous veulent du mal mais aussi contre nous-mêmes, notre tristesse, nos peurs, notre sidération, nos peines. Nous devons vivre, continuer à vivre et penser que nous allons vers des promesses d’avenir meilleur, vers une lumière qui ne luit pas encore mais que nous espérons.
C’est malheureusement l’histoire du peuple juif, une suite de persécutions, d’humiliations, de maltraitance, de haine, de massacres et de pogroms. À tel point qu’avec cette pointe d’humour noir, nous aimons à nous rappeler que nos fêtes ont toutes le même thème : On a voulu nous nous faire du mal Dieu nous a sauvé. Qu’est-ce que l’on mange ? C’est ainsi que Pessa’h vient célébrer l’intervention Divine pour notre libération d’Egypte après un esclavage de 210 ans. Que Pourim commémore un événement historique où les Juifs ont échappé à un massacre planifié contre eux dans l’Empire perse antique. Que Hanouka commémore la résistance du peuple juif contre l’oppression religieuse et culturelle imposée par l’empire séleucide.
La fête de Chavouot quant à elle déroge à la règle. Nous célébrons un cadeau de Dieu en notre faveur, le don de la Torah. Nous mangeons certes des gâteaux au fromage, mais personne ne nous voulait du mal … à priori.
En ce Chavouot 5784, nos réflexions seront orientées vers la vie, nos vies, après le 7 octobre. Cette année, dans toutes nos synagogues du Judaïsme en Mouvement, nous avons choisi, sur une proposition du Rabbin Yann Boissière, un thème commun à nos études :
« Am Israël Hai » (עם ישראל חי), une expression hébraïque qui se traduit par « Le peuple d’Israël vit » ou « La nation d’Israël vit » ou « Nous vivrons »
Comme tous les ans, nous étudierons toute la nuit, cette année en allant scruter nos traditions et nos textes pour trouver les ressources qui ont permis la survie du peuple d’Israël, en dépit de tant de haine et d’adversité. Nous trouverons probablement l’amour des mères juives qui s’affairaient aux fourneaux pour préparer de bons petits plats … Certainement aussi l’humour de nos rabbins qui arrivent à rire de tout, y compris des événements les plus tragiques, jusqu’à faire rire Dieu …
“Au-delà de son contexte juif, « Am Israël Hai » offre un message universel d’espoir, l’espoir de continuer à vivre et l’espoir de garder notre humanité”
Qu’est-ce que ce Peuple, cet «Am» ? A-t-il une âme particulière (עם) ?
La langue hébraïque, langue consonantique, est une suite de consonnes, sans voyelles. Il est instructif de remarquer que les termes «Am» (עם) et «Im» (עם) s’écrivent de la même manière en hébreu. «Am» (עם) signifie «peuple, le peuple juif dans son ensemble, et Im» (עם) signifie «avec». Nous pouvons y voir l’idée que les membres du peuple sont ensemble, ou «avec» les uns les autres, dans leur identité collective et leur histoire commune.
De manière plus symbolique nous pouvons également comprendre que le peuple juif (Am) est accompagné ou soutenu par des forces divines ou spirituelles (Im). Cela renforce le lien entre le peuple et la divinité, soulignant la croyance en une relation spéciale entre Dieu et le peuple d’Israël .
L’unité proclamée par «Am Israël Hai» transcende les divisions internes au peuple juif. Qu’ils soient religieux ou laïcs, vivant en Israël ou dans la diaspora, les Juifs se rallient autour de cette phrase en tant que symbole d’unité nationale et religieuse.
Qu’est-ce qu’Israël ?
Un nom gagné par notre patriarche Jacob après un combat, dans une nuit de grande solitude (Genèse 32 -25 Jacob étant resté seul …) combat gagné contre un Homme, un Ange ,contre lui-même ,un autre ,son frère… ou l’ange de son frère ?
Ou Israël, le nom d’une terre, terre promise, terre Sainte ou de Sainteté ? Dans la tradition juive, la terre d’Israël est bien plus qu’une simple géographie. Elle est la Terre Promise, le lieu que Dieu a promis à Abraham et à sa descendance. Elle occupe donc une place centrale dans l’histoire et la foi juives, symbolisant un lien spirituel et divin entre le peuple juif et cette terre. En 1948, avec la fondation de l’État d’Israël, le lien entre «Am Israël Hai» et la terre d’Israël est renforcé. La survie du peuple juif et l’établissement d’un foyer national sont célébrés comme une réalisation concrète de l’espoir exprimé dans cette phrase.
Haï , חי’’ la vie , le vivant ?
Pour designer la vie en Hébreu, nous utilisons le mot pluriel, Haim ’’חיים‘‘ dans un sens collectif ou abstrait pour représenter la vie dans son ensemble : la vie physique, la vitalité, l’existence, une idée de plénitude et de richesse de la vie. Par exemple, dans la phrase ’’חיים טובים‘‘ (haim tovim), cela signifie «bonne vie», se référant à une vie heureuse et épanouissante.
’’חיים‘‘ est également utilisé dans des expressions et des vœux de bonne fortune et de longévité, comme dans ’’לחיים‘‘ (lehaim), qui est l’expression courante pour trinquer ou pour se souhaiter une longue vie.
La vie, ces vies, vont bien au-delà d’une simple déclaration de survie. C’est un message d’espoir profondément enraciné dans l’histoire et la résilience du peuple juif.
C’est un regard optimiste vers l’avenir en symbolisant la force d’une communauté unie qui puise dans son histoire pour forger un avenir meilleur.
Il est d’autres mots en hébreu qui n’ont pas de forme singulière distincte et qui sont utilisés uniquement au pluriel. Le mot ’’פנים‘‘ (panim) est le mot hébreu pour «visages» et il est utilisé au pluriel, comme un pluriel unique, c’est- à-dire qu’il peut se référer à un seul visage ou à plusieurs visages selon le contexte.
Les mots hébraïques nous signifient : le visage de l’un est toujours en regard du visage de l’autre.
L’hébreu, une philosophie comme le dit si bien Shmuel Trigano. Emmanuel Levinas nous enseignait que le visage, ce pluriel si singulier, est porteur du premier et seul ordre adressé à moi: «Tu ne tueras point». En ce sens, tout le corps et tout l’homme est visage.
Ce n’est certainement pas un hasard si nous avons l’habitude d’étudier le livre de Ruth, à Chavouot.
Ruth, une Moabite, est accueillie par le peuple d’Israël, démontrant la bienveillance et l’inclusion. Les enseignements du Livre de Ruth soulignent l’importance de ces valeurs dans la construction d’une communauté morale et spirituelle.
Ruth devient ainsi un exemple vivant d’accueil, de rédemption et de fidélité, suggérant que ces valeurs transcendent les frontières ethniques et sont essentielles à la compréhension et à la coopération entre les peuples. Ruth, cette danseuse de l’inclusion, nous enseigne à transcender les barrières. Elle apporte sa propre harmonie à cette danse, invitant à accueillir l’autre avec une ten- dresse qui transcende les différences.
Ainsi, bien que la formule « Am Israël Hai » (עם ישראל חי) soit profondément enracinée dans l’identité juive, son histoire spécifique, nous souhaitons l’inscrire dans le visage des uns et des autres, dans une dimension universelle en tant que symbole de résilience, d’espoir et de vie qui peut résonner au-delà des frontières culturelles du judaïsme.
Au-delà de son contexte juif, « Am Israël Hai » offre un message universel d’espoir, l’espoir de continuer à vivre et l’espoir de garder notre humanité dans notre souci de continuer à regarder le regard de l’autre.
Puissions-nous penser « Am Israël Hai » au pluriel et souhaitons que cette expression devienne une source d’inspiration pour toutes les communautés confrontées à l’adversité, soulignant que même dans les moments les plus sombres, la vie, la bienveillance et l’espoir peuvent persister.
Nous aurons à cœur de trouver dans nos textes, en célébrant le don de la Torah, les ressources qui nous permettent d’espérer, de nous retrouver en paix les uns avec (Im» (עם)) les autres. »
Fabienne Sabban
Administratrice Culture, en charge de la Nuit de Chavouot.