‘Hanouka 5784: l’édito rabbinique
« Dis, tu connais l’histoire de ‘Hanouka? »
Posez cette question à un juif, grand ou petit, et une immense majorité vous répondra : « bien sûr c’est le miracle de la petite fiole d’huile« … L’histoire de la guérilla des Maccabim qui, après avoir repris le temple aux hommes d’Antiochus, voulurent l’inaugurer en allumant la ménorah et ne trouvèrent qu’une fiole d’huile pure. Censé durer un jour, le petit flacon durera en fait huit jours !
Dans le narratif juif, c’est sur ce miracle que l’accent est mis, l’épopée militaire des Maccabim apparaitra presque secondaire. Alors oui, quand on lit la violence de certains couplets de Maoz Tsour nous réalisons bien que c’est un hymne guerrier que nous entonnons… Quand nous lisons le sacrifice de Hanna, qui un par un laissa ses fils se faire exécuter plutôt que d’abjurer, c’est bien une certaine admiration pour le martyr que nous croyons déceler … Mais cela ne va pas plus loin…
C’est cette petite histoire de miracle et de lumière que les rabbins du Talmud ont imposé en récit phare de ‘Hanouka alors même que cette agada est relativement tardive, écrite 600 ans après l’épopée de Judah Maccabi et de ses frères. Le choix des rabbins est tellement clair que c’est de là qu’ils tireront l’unique commandement de cette fête : pirsoumé nissa… publier le miracle en allumant chaque jour une bougie…
‘Hanouka qui aurait pu être une simple commémoration de bataille, prends alors un caractère pleinement religieux. Les hommes en armes ne sont plus ceux qu’on célèbre, ils sont les outils de la victoire mais seul Dieu est le héros de l’histoire… L’explication souvent avancée pour justifier le revirement des rabbins sur le sens de la fête de ‘Hanouka est leur volonté, après l’échec de la révolte Bar Korba, de décourager toutes révoltes juives contre l’occupant. D’autres moyens apparaissent alors plus sûrs pour obtenir des envahisseurs un minimum de liberté religieuse… Par ailleurs, les exactions des Maccabim et de leur dynastie Hasmonéenne, certes guerriers courageux mais aussi avides de pouvoir et ivres de violence, ont amené les rabbins à relativiser la place du combattant sans pour autant jamais la nier.… La guerre est nécessaire mais elle ne peut être glorifiée, le soldat qui meurt en défendant Israël est honoré mais sans jamais que le martyr n’apparaisse aux vivants comme une fin enviable.
L’an dernier, au cœur de la guerre, des juifs ukrainiens négociaient avec la municipalité de leur ville le droit d’allumer une ou deux heures, une ‘Hanoukia géante dans la ville, en rappelant à leur voisin « que la lumière vainc les ténèbres« . On peut penser que, laïcité oblige, ces allumages sur la voie publique ne sont pas dans l’esprit de notre culture française. Sans compter que la Halakha exige que nous publions le miracle auprès des autres juifs et non auprès de tout individu juif ou non juif.
“Après tout, notre devoir de juif est aussi de croire au miracle.”
Mais cette année rien n’est plus pareil. Cette année, plus que les autres, publier le miracle c’est réaffirmer que pour nous juifs, la guerre n’est jamais la fin de l’histoire. Elle peut être un passage obligé et c’est le cas en ce moment, la force des armes peut nous amener à gagner une bataille mais il doit y avoir autre chose à côté.
Les lettres du mot Shemen (huile) en hébreu sont les mêmes qui servent à former le mot nechama : âme. En ces heures sombres, à la détresse de savoir encore des centaines d’otages entre les mains de terroristes tortionnaires, au deuil des familles, au traumatisme des rescapés, s’ajoute un nouveau danger : celui de renoncer à chercher au fond de nous la petite fiole d’huile, le petit « supplément d’âme » qui nous donnera la force de ne pas nous aussi sombrer dans les ténèbres de la violence, dans l’obscurité sans fin des tunnels ou d’autres préfèrent se terrer… La réussite des opérations militaires de Tsahal est comme autrefois aux temps des Maccabim une nécessité mais la victoire, elle, sera ailleurs… Elle est entre les mains de ceux qui n’oublieront pas que viendra le temps de ‘Hanouka, le temps de rebâtir, de restaurer et d’inaugurer à nouveau ce qui a été outragé. Comme les Maccabim, ils devront retrouver ne serait-ce que quelques millilitres de ce je ne sais quoi qui permettra à nouveau de créer une étincelle, qu’à la sortie de l’obscurité se trouvent de part et d’autre des leaders non plus aveuglés par la colère mais éclairés par la nécessite d’inaugurer une nouvelle ère… Oserais-je prononcer le mot paix ? Pas maintenant. Pas sans les otages. Pas à n’importe quelles conditions mais dans un futur qui ne saurait être aussi trop lointain.
‘Hag Hanouka Samea’h