TT des parents : Les rabbins – Episode #4
Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, Rabbin en devenir. Ancien directeur des Talmudei Torah JEM.
Les précédents épisodes nous en emmenés de Judée en exil à Babylone et retour, ont vu la naissance, la destruction et la renaissance des Temples d’Israël, les luttes internes au peuple juif et les mouvements qui représentent les grands courants, mais de rabbins, toujours pas !
Nous sommes au 2ème siècle AVANT notre ère, et pour bien comprendre la Judée de l’époque il faut se rendre compte que le Judaïsme de l’époque est multiple, et ce au moins jusqu’au 2ème siècle de notre ère. Croyances et pratiques judéennes sont extrêmement variées, et différentes de celles de diaspora. Quel méli-mélo ! Divers mouvements religieux et courants émergent donc, chacun défendant sa vision.
Comme l’écrit l’historien Simon Claude Mimouni :
« En tout cas, il n’y a pas au 1er siècle de notre ère une autorité religieuse reconnue, en dehors du sacerdoce du temple de Jérusalem qui est représenté par le Sanhédrin dont le pouvoir effectif ne paraît cependant pas dépasser les limites de la Ville sainte. Aucune autorité religieuse ne régulant vraiment une quelconque orthopraxie et orthodoxie, il règne par conséquent une relative liberté dans l’expression des convictions religieuses – en dehors évidemment de la croyance en une seule divinité qui est de manière indiscutable le « Dieu d’Israël ». De ce fait, surtout à Jérusalem, les divers mouvements se disputent peu ou prou le pouvoir. »
Les 4 principaux courants de l’époque sont : les Sadducéens, les Pharisiens, les Esséniens et des Nazoréens, sans que l’un ou l’autre soit réellement majoritaire ou plus influent que les autres (il faut aussi prendre en compte des groupes comme les Sicaires et les Zélotes). A cette époque c’est le Temple qui est le point de convergence des Judaïsmes, pas la Torah.
Les Sadducéens
Les Sadducéens tirent leur nom de l’ancien Cohen Gadol (le « Grand Prêtre ») du temps de David et Salomon : Tsadoq. Ce nom est évidemment utilisé pour donner de la légitimé au mouvement, en le reliant à une lignée remontant aux temps mythiques du judaïsme. Les Sadducéens sont majoritairement issus de milieux sacerdotaux (ceux qui servent au Temple) et en général favorables aux divers pouvoirs qui contrôlent la Judée (n’oublions pas qu’à part un bref intervalle dû aux succès des Maccabées, les juifs de l’antiquité n’ont jamais été politiquement indépendant après l’exil de Babylone). Dans l’ensemble, à l’époque de la domination romaine, les sadducéens se recruteront essentiellement parmi les grandes familles sacerdotales et aristocratiques, c’est pourquoi de manière générale le haut clergé a été pro-romain et le bas clergé anti-romain.
Les connaissances dont on dispose sur les sadducéens d’un point de vue doctrinal sont faibles (elles proviennent, pour la plupart, de sources chrétiennes !). On sait surtout qu’ils ne croient ni à la résurrection ni à l’angélologie et s’en tiennent à la lettre de la Torah, dans la mesure où ils considèrent le texte reçu comme primordial contrairement aux pharisiens qui acceptent aussi l’autorité de la tradition orale. D’après Flavius Josèphe, les sadducéens n’admettent pas l’influence du destin ou de la providence.
Les Pharisiens
Étymologiquement, le terme « pharisien » vient de la racine hébraïque Parash qui signifie d’abord « séparer » et ensuite « expliquer ». C’est la même racine qui donnera la « Paracha » de la semaine.
Ce nom se comprend d’autant mieux si l’on admet que les scribes de l’époque royale et ceux de l’époque perse, qui sont les interprètes de la « loi écrite », sont les lointains précurseurs des pharisiens, et encore plus si on se souvient de l’importance qu’ils donnent à la « loi orale » qui « explique » la loi écrite.
Les pharisiens pourraient être issus des Hassidim (voir épisode précédent), qui ont refusé l’adoption des mœurs grecques sous le règne d’Antiochus IV Épiphane (env. -215 à -164 BCE). Groupés en confréries ou associations (en hébreu des ‘havurot), on rencontre des pharisiens dans les villes et villages de toute la Judée, où ils interviennent dans les lieux de prière et d’étude que sont les synagogues. Toutefois, le milieu propre des pharisiens n’est apparemment pas la communauté avec sa synagogue, même si progressivement ils s’y intéresseront et feront tout pour y tenir de plus en plus de place, notamment en apportant leurs commentaires à la lecture de la torah.
La vie religieuse des pharisiens est centrée sur l’étude de la loi et les conditions de sa mise en pratique. Un de leur principaux soucis est de clarifier dans quelles conditions la Loi s’applique aux diverses situations qui peuvent se présenter et dont le législateur, Moïse, n’a pas prévu tous les détails. Sur le plan de la pratique, cela se traduit par une multiplication des observances, interprétées comme le gage et le signe des bénédictions divines et destinées à accentuer la séparation entre Pharisiens et Judéens n’appartenant pas à leur courant (les chrétiens et les synagogaux notamment), notamment en dressant « une barrière autour de la torah » selon une de leurs expressions célèbres.
Les pharisiens sont profondément différents des Sadducéens en ce qu’ils professent certaines idées dont le lien avec la Torah semble quasi inexistant. En particulier, ils croient à la résurrection (soit de tous les hommes, soit des justes seulement). Contrairement aux Sadducéens, les Pharisiens défendent qu’il y a une vie après la mort avec récompenses pour les méritants et punitions pour les méchants. Enfin, ils enseignent une angélologie très précise et très structurée, mettant en scène des anges intervenant sur terre. Ces doctrines portent la marque très claire d’influences étrangères, surtout perses.
Politiquement, les pharisiens attendent d’être libérés de l’autorité étrangère installée en Judée, mais ne semblent pas penser, pour la grande majorité d’entre eux, pouvoir hâter la libération autrement que par leur piété et leurs prières.
Les pharisiens vont être essentiels pour la survie du peuple judéen après la catastrophe de la première révolte, en 66-74, et surtout après celle de la deuxième révolte, en 132-135 (Bar Kochba). En effet, c’est eux qui seront vraisemblablement à l’origine de ce qui va constituer progressivement… le rabbinisme.
Nous y voilà enfin !!!
L’opposition fondamentale entre Sadducéens et Pharisiens est donc à la fois
- Politique : proches du pouvoir en place ou opposés et espérant la libération
- Sociale : élites aristocratiques riches contre groupe plus proche du peuple et des classes travaillant
- et religieuse : loi écrite seulement ou loi orale aussi ?
Comme l’écrit Mireille Hadas-Lebel : « Les dissensions entre eux portent sur l’application de la Torah, la Loi écrite. Faut-il s’en tenir à ce qui était alors la sola Scriptura ou doit-on respecter aussi nombre d’usages et d’interprétations de maîtres reconnus, qui ont commencé à prendre racine avec le temps ? »
Flavius Josèphe, historiographe juif romain ayant vécu au 1er siècle de notre ère (37-100) est le mieux placé pour résumer :
« Les pharisiens avaient introduit dans le peuple beaucoup de coutumes qu’ils tenaient des Anciens, mais qui n’étaient pas inscrites dans les lois de Moïse, et que, pour cette raison, la secte des sadducéens rejetait, soutenant qu’on devait ne considérer comme lois que ce qui était écrit, et ne pas observer ce qui était seulement transmis par la tradition » (Antiquité Judaïques XIII, 297).
Tout est en place pour l’entrée en scène des rabbins, le rideau va pouvoir se lever… au prochain épisode.