TT des parents : Les rabbins – Episode #3
Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, Rabbin en devenir. Ancien directeur des Talmudei Torah JEM.
Dans les épisodes précédents, nous avons vu que Synagogue et Rabbins que l’on croyait si profondément liés au judaïsme, n’apparaissent en fait que très tard, et pas forcément ensemble. En effet, nous allons voir qu’au départ, les rabbins se méfient de la synagogue : eux, ce sont des gens du texte, de l’étude, de la transmission. Ils sont plus « Beit Midrash » (littéralement « maison de l’étude ») que « Beit Knesset » (littéralement « maison de l’assemblée » = synagogue). Mais n’anticipons pas.
Quand nous avons quitté l’épisode précédent au retour d’exil de Babylone, les Rabbins n’existaient pas encore et les synagogues faisaient timidement leur apparition.
La fin de l’exil babylonien voit la mise en place d’une double organisation de la Judée : un Roi responsable de la partie politique et des Prêtres (Leviim et Cohanim) responsables de la partie religieuse. On retrouve cette bicéphalité déjà mise en place par Moïse et Aaron dans la Torah. Le culte est principalement tourné autour du système sacrificiel et non de la prière comme on en a l’habitude aujourd’hui. Les sacrifices ne se font pas n’importe où, aussi plusieurs Temples coexistent : outre celui de Jérusalem, le plus important et le seul habilité à effectuer certains sacrifices bien précis, on connaît ceux de Bethel (qui a pris le relai de celui de Jérusalem pendant que l’aristocratie sacerdotale était en exil à Babylone), Shiloh, Gerizim (fondé par les Samaritains), ainsi que celui de Modiin (à l’époque grecque). D’autres sanctuaires de moindre importance existent à travers toute la Judée, desservis par le personnel lévitique.
L’existence d’un sanctuaire dans chaque ville plus ou moins importante, permettait que les habitants puissent manger de la viande, l’abattage rituel des bêtes étant un acte sacré nécessitant à la fois une enceinte consacrée à cet effet et un personnel formé et habilité aux rites spécifiques (gestion du sang, découpage de la viande,…). Tous ces Temples sont placés sous la juridiction du Cohen Gadol (le « Grand Prêtre ») de Jérusalem, qui est à la fois le chef de l’aristocratie sacerdotale et du culte.
Et les Rabbins alors ? Est-ce que c’étaient les bouchers de l’antiquité ? Non ! Ça, ce sont les prêtres : Leviim et Cohanim. A cette époque, le mouvement rabbinique n’existe toujours pas.
L’époque perse en Judée semble avoir généralement été une période pacifique et prospère et quand l’hellénisation de la région commence, Israël constitue une véritable entité économique et culturelle.
Vainqueur, en 333 avant notre ère, de l’armée perse, Alexandre le Grand s’ouvre ainsi la route de la Syrie. Il conquiert Tyr, puis Gaza en -332 et pénètre en Egypte où Memphis l’accueille en libérateur. Il fonde Alexandrie en -331. Judée et Samarie rejoignent rapidement l’Empire du nouveau conquérant. La mort d’Alexandre à Babylone en -323 provoque une guerre de succession entre ses généraux qui se disputent son héritage. La Judée va être au cœur de ces guerres entre dynasties hellénistiques.
L’hellénisation des Judéens est surtout sensible dans les villes, beaucoup moins dans les campagnes, provoquant progressivement une tension au sein du peuple entre d’un côté élites citadines hellénisées et perdant progressivement contact avec les traditions juives (assimilation quand tu nous tiens…) et de l’autre côté peuple des campagnes farouchement attaché à son histoire et à ses rites.
Jusqu’en -175, les Judéens bénéficient d’institutions originales qui leur permettent de préserver leurs traditions tout en étant des sujets loyaux des diverses dynasties helléniques qui gouvernent l’Empire. En -175, c’est l’avènement du roi séleucide Antiochus IV épiphane et le début d’une série d’événements qui amènera à l’insurrection des Macchabées.
Le début du règne d’Antiochus IV est marqué par l’adoption de mœurs nouvelles, fortement hellénisées, par un certain nombre de Judéens. Dans les textes juifs de l’époque, on les appelle parfois des « paranomoi » ou « vauriens » (voir Macchabées 1 par exemple) ! A ces judéens qui abandonnent les pratiques juives pour mettre en place officiellement un culte grec, allant jusqu’à demander au souverain l’autorisation officielle d’adopter des coutumes grecques et de construire un « Gymnase » à Jérusalem, s’oppose un autre groupe : les « Hassidim » חסידים, ou « Hassidéens » (en français), à ne pas confondre avec les Hassidim modernes (mouvement initié par le Baal Shem Tov au 18ème siècle en Pologne) !
Les Hassidim, les « pieux » en hébreu, sont un groupe que les historiens peinent à définir précisément : ce terme d’époque désigne-t-il seulement les Judéens qui veulent se battre pour sauvegarder les traditions juives ou un groupe bien distinct avec des pratiques plus pieuses que le reste de la population ? Toujours est-il, qu’avec un autre groupe fondamental qui remonte au moins au retour d’exil, les Soferim, ils vont s’allier aux Maccabées pour lutter contre l’influence grecque grandissante. La suite, on la connait : une révolte (167-142 avant notre ère) dont l’enjeu est à la fois politique et religieux et qui va surtout opposer deux parties de la population judéenne. Les Grands Prêtres « hellénistes » cherchent à imposer au peuple judéen des schémas institutionnels et un mode de vie conformes à l’image de la Polis, la cité grecque qui représente à leurs yeux un état parfait de l’existence sociale. Macchabées puis Hasmonéens, eux, s’inscrivent plutôt du côté de la Monarchie que de celui de la cité. Un modèle qui leur permet de conserver leurs traditions ancestrales tout en acceptant une part de culture grecque.
La révolte qui éclate en Judée en 167 avant notre ère n’est pas exceptionnelle : Egypte ou Babylonie ont déjà connu des affrontements similaires contre l’hellénisme et le pouvoir local qui le représente.
Cette révolte va mettre en avant les Hassidim et surtout leurs successeurs (voire héritiers): les Pharisiens. Un mot bien connu du monde christianisé tant les écrits chrétiens se répandront sur ce groupe. Nous sommes aux 2ème et 1er siècle avant notre ère, et toujours pas de Rabbins ! Alors qui sont ces Pharisiens et comment mèneront-ils aux Rabbins ?
La suite… au prochain épisode.