TT des parents : Les rabbins – Episode #1

4 septembre 2024

Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, Rabbin en devenir. Ancien directeur des Talmudei Torah JEM. 

Les rabbins, épisode #1 « Papa, maman, à quoi ça sert un rabbin ? » 

« Avez-vous pris RDV avec le rabbin pour la Bar Mitsvah ? », « Quel rabbin officie ce Shabbat ? », « On avait un super rabbin pour notre mariage, il jouait du sifflet, de la guitare et du trombone tout en récitant les psaumes et en dansant la Horah ! »…

Tant de questions qui tournent autour de ce personnage central de nos synagogues : le (ou la) rabbin ! 

Entamant mes propres études rabbiniques au Jewish Theological Seminary de New York après avoir dirigé notre Talmud Torah pendant plusieurs années, il me semblait important de répondre à cette question que tout parent a entendue au moins une fois : « papa, maman, à quoi ça sert un rabbin ? » 

D’abord, d’où vient le mot et que veut-il dire ? Et puis : Rabbin, Rabbi, Rav, Rabban, Rebbe,… est-ce qu’il y a des différences ? 

Le mot « Rabbin » vient de l’hébreu Rabbi רַבִּי‎ qui vient de la racine Rav רב qui veut initialement dire « grand, beaucoup, multiple » et qui évoluera pour dire « Maître », au sens de celui qui est « grand » (par son savoir, sa sagesse, sa capacité d’écoute, d’enseignement, de transmission…) et « révéré ». « Rabbi» רַבִּי est la contraction de «Rav Cheli » רב שלי qui veut simplement dire « Mon Maître » (vous pouvez essayer d’appeler le Rabbin « mon grand », ou « ma grande », mais ça risque d’être mal interprété… surtout si vous dites la même chose deux minutes plus tard à votre fils ou à votre fille). 

Dans l’Antiquité

Le mot Rabbin n’apparaît nulle part dans la Torah (et pour cause, comme nous le verrons l’idée même de Rabbin était loin du système hébreu biblique). Mais des mots et des significations proches se trouvent dans les livres des Prophètes (Neviim) et des Hagiographes (Ketouvim). Daniel (1:3) et le prophète Jérémie (39:13) utilisent le terme «  רַב־סָרִיס » (Rav-saris) pour signifier « chef des eunuques » indiquant un haut fonctionnaire dans un contexte babylonien. Toujours Daniel (2:48) utilise l’expression רַב־סִגְנִין עַל כָּל־חַכִּימֵי בָבֶל (Rav Signin al hakhamey Bavel) : « chef suprême de tous les sages de Babel. » 

Dans les textes anciens des cultures voisines comme les textes Ugaritiques et Akkadiens, des mots similaires comme « rabû » en Akkadien signifient « grand » ou « chef », indiquant une racine sémitique commune pour désigner quelqu’un de haut rang ou d’important. Le terme « rab » apparaît lui-aussi fréquemment dans les inscriptions anciennes pour désigner des chefs ou des fonctionnaires de haut rang. Par exemple, « rab ša rēši » est un titre en akkadien qui signifie « chef des eunuques » (voir plus haut dans les textes hébreux pour le même usage). Les termes « rab » ou « rav » ou « rabû » étaient utilisés dans différentes cultures sémitiques pour désigner des figures d’autorité. 

Dans le Nouveau Testament chrétien, rédigé en grec mais avec des termes araméens et hébreux, le mot « ῥαββί » (rhabbi) est utilisé pour désigner Jésus dans plusieurs passages (par exemple, Jean 1:38). Le terme « rabbi » était utilisé à l’époque de Jésus pour s’adresser à un enseignant respecté. 

C’est uniquement à cette époque que les mots « Rav », « Rabbi » ou « Rabban » commencent à prendre une signification proche de celle qu’on leur donne aujourd’hui. C’est dans la Mishna (clôturée et compilée au début du IIIe siècle, vers l’an 200 de notre ère) qu’on trouve ces mots accolés non pas aux premières générations de Sages (Hillel et Shammaï par exemple n’ont jamais ce titre) mais à la génération suivante (deuxième moitié du 1er siècle de notre ère) : Rabban Gamliel l’ancien, Rabban Yo’hanan et Rabban Yo’hanan ben Zakaï. 

A l’époque, coexistent deux grands centres de la vie juive : la Judée sous domination Romaine, et Babylone. 

La Judée Romaine

Dans les écoles de Judée romaine, les étudiants appelaient leur maître « Rabbi » (qui signifie littéralement, on l’a vu, « mon Maître ») jusqu’à ce que le mot lui-même prenne une connotation honorifique et devienne un titre, un statut. Il marque une coutume spécifique palestinienne : la Smikha סְמִיכָה. Cette ordination passée de maître à élève s’inscrit dans une lignée continue (à l’époque) remontant mythologiquement à Moïse, le premier à utiliser ce mot (וַיִּסְמֹךְ VaYismokh) pour « passer » son pouvoir, son leadership spirituel à son successeur Josué (Yehoshoua en hébreu, voir Bemidbar 27:18-23). Cette Smikha originelle ne pouvait être transmise qu’en présence de trois juges dont au moins un devait lui-même avoir reçu la Smikha (Talmud Sanhedrin).  

La Smikha est donc la marque rituelle de l’attachement à la partie orale de notre tradition. 

La révolte de Bar Kokhba (132-135 de notre ère) marque la fin définitive de la souveraineté juive sur la Judée, la destruction de Jérusalem, l’expulsion d’une grande partie des juifs, et l’accumulation de restrictions et interdictions sur la pratique du judaïsme. L’Empereur Hadrien interdit la Smikha, ordonnant que quiconque la recevrait ou la donnerait soit mis à mort, que la ville où la cérémonie aurait lieu soit entièrement rasée et la terre retournée sur plusieurs kilomètres à la ronde (il avait bien compris l’importance de cette cérémonie) ! 

La chaîne de transmission jusque-là continue, va progressivement s’interrompre et disparaître, même si certaines sources de l’antiquité tardive et du début du Moyen-Âge sembleraient suggérer qu’une forme de Smikha ait continué à exister discrètement pendant des années. 

Babylone

L’autre grand centre de vie juive de l’époque, c’est Babylone (Irak moderne). 

Mais la Smikha ne pouvait être donnée qu’en terre d’Israël. Les Sages de Babylonie ne pouvaient donc recevoir le titre de « Rabbi » et seront appelés « Rav ». Le titre « Rabban » était réservé aux plus importants d’entre eux, notamment pour le Nassi (leader à la fois politique, administratif, religieux et juridique de la communauté locale) et le Av Bet Din (le président du tribunal rabbinique local). 

Que ce soit en Judée ou à Babylone, l’ancêtre du rabbin moderne était né. 

Et le Rebbe alors ? Le mot « Rebbe », lui aussi a des racines hébraïques, mais il est principalement utilisé en yiddish pour désigner un leader spirituel dans le judaïsme hassidique. 

Aujourd’hui alors, comment devient-on Rabbin ? Comment se passe une ordination rabbinique ? Et puis… à quoi sert le Rabbin ?  

Pour tout cela, suivez-moi dans les coulisses… 

La suite, au prochain numéro… 

Emmanuel Calef
Ancien Directeur des Talmudei Torah JEM
Rabbin en devenir