Pourquoi « JEM à l’air Séfarade » ?
Le rabbin Philippe Haddad vous répond.
Je me suis souvent demandé pourquoi le judaïsme libéral est né en monde ashkénaze, alors que le monde séfarade d’Afrique du Nord ne connut pas un tel phénomène ? Ma réponse : Le monde juif du Maghreb a toujours été plus souple en matière religieuse. Même s’il a existé des poches de judaïsme de stricte observance dans les trois pays d’Afrique du nord, globalement les rabbins et autres autorités religieuses restaient avenants envers les fidèles, et sans rechercher une quelconque surenchère religieuse.
A l’époque, le phénomène des traiteurs de produits cacher n’existait pas, et les repas pour une brit mila et autre bar-mitsva se préparaient en cuisine par la maitresse de maison, les tantes et les grandes filles (l’espace restait très féminin). Puis la famille, des membres de la communauté et des pauvres, se déplaçaient pour apprécier ces plats traditionnels. Et parmi cette belle assemblée, les rabbins et les paytanim (chanteurs) participaient joyeusement à ces moments familiaux. On ne demandait jamais si le repas était strictement cacher, si la vaisselle avait été trempée au mikvé, ou si la séparation lait viande régnait au sein de la cuisine.
Le mouvement de la Haskala
En Tunisie (pays de mes origines), il existait même un office du Chabbat matin qui terminait avant 9h pour que les fidèles puissent aller travailler dans l’administration française. On ne reprenait jamais ceux qui venaient en portant leur talith sous la main, alors que ce saint jour, la halakha (la loi juive) interdit de transporter même ses clefs ou son mouchoir. La halakha restait la référence des rabbins, mais concrètement chacun était libre de vivre son judaïsme sans avoir peur du regard accusateur, voire inquisiteur, d’un inspecteur de conscience. La religion se vivait dans la foi et la bonne entente, certes selon les critères des mentalités patriarcales liées à cet univers oriental. Ce qui explique que la prière à la synagogue maintenait la séparation hommes / femmes, mais qui n’empêchait pas dans beaucoup de lieux de culte d’accorder le jour de Kippour le rassemblement familial sous le talith du père de famille. Dans ces conditions sociologiques et psychologiques, une réforme religieuse ne pouvait se penser.
Le monde ashkénaze connut les Lumières, l’Emancipation et avec elle le mouvement de la Haskala si chère à nos yeux. Les questions de l’adaptation de la halakha, de son évolution, se posèrent aux réformateurs, de même que les nouvelles conditions du culte synagogal. La séparation hommes femmes datait d’un autre temps, d’un autre univers, elle fut supprimée, jusqu’au jour où une première femme fut ordonnée rabbin. Une telle évolution, voire révolution, n’aurait pu se concevoir en monde séfarade. Puis les années 1960 connurent le départ du Maghreb, les uns optant pour Israël, les autres pour l’Amérique du Nord, la majorité pour la métropole française.
“La musique est la plume de l'âme”
Le séfarade s’est occidentalisé
Avec Enrico Macias, on chanta » j’ai quitté mon pays » et on tourna la page. Le monde séfarade, oriental, s’occidentalisa dans ses mœurs, dans sa culture, dans son instruction. Un point de ces traditions ancestrales demeura : la liturgie. Quel que soit le degré de pratique religieuse, le séfarade reste globalement attaché à ses sonorités et ses harmoniques d’antan qui renvoient à l’Espagne andalouse.
Malgré quelques variantes musicales, que serait un office de Roch Hachana ou Kippour sans les traditionnels chants sefarades Ânénou ou mi El Kamoka ? Que serait les offices de Chabbat sans le az yachir Moché ou les airs de Kaddich ou de Kéddoucha si variés et si typés. L’âme du croyant se nourrit aussi de sa mémoire musicale. « La musique est la plume de l’âme » disait le Baal chem Tov.
Aujourd’hui le séfarade s’est occidentalisé, il vit pleinement les valeurs humanistes, démocratiques des sociétés modernes. Si on ne peut nier une tendance de stricte observance en plein développement chez les jeunes générations par le mouvement Loubavitch ou quelques maîtres charismatiques via Youtube, on ne peut tout autant nier l’aspiration de nouvelles générations à vivre un judaïsme dans son temps, égalitaire, paritaire, tel que le traduit notre philosophie religieuse, celle de JEM.
En écoutant les uns et les autres, ici et là, il me semble que des embryons de communautés séfarades au sein de JEM pourraient voir le jour. La liturgie resterait centrale, mais dans un cadre sans séparation hommes / hommes, accueillant envers les couples mixtes, proposant aux filles de lire dans la Torah comme aux garçons.
A défaut de voir demain la naissance de plusieurs oratoires JEM séfarades, nous pourrions organiser à un rythme régulier dans l’une des synagogues parisiennes de JEM, un office séfarade libéral qui constituerait une opportunité de voir le nombre de nos fidèles augmenter.
Rabbin Philippe Haddad
JEM à l'air séfarade : programme et réservations
Vendredi 19 novembre à 18h30 : office de Chabbat à la synagogue Copernic mené par les rabbins Philippe Haddad, Jonas Jacquelin et le ‘hazan Armand Benhamou accompagnés par Enrico Macias qui prêtera sa voix et ses airs aux chants liturgiques.
Inscription : jemsefarade@judaismeenmouvement.org
Vendredi 19 novembre à 20h30 : grand diner chabbatique aux Salon Hoches rythmé de piyutims judéo-espagnol et judéo-arabe chantés par notre parrain Enrico Macias, accompagné pour l’occasion d’Agnés Jaoui, Marlène Samoun, l’Ensemble Piyout et la mezzo-soprano Sofia Falkovitch.
Réservations : bit.ly/3DXbY4O
Samedi 20 novembre à 10h30 : office à la synagogue Copernic mené par le rabbin Philippe Haddad et le ‘Hazan Armand Benhamou.
Inscription : jemsefarade@judaismeenmouvement.org
Samedi 20 novembre à 20h30 : concert acoustique arabo-andalou d’Enrico Macias à la synagogue Copernic. Il sera accompagné de ses musiciens et d’invités inattendus comme Agnés Jaoui, le clarinettiste Yom et bien d’autres.
Réservations : bit.ly/3piLF4U