Parler aux enfants des événements terroristes

12 octobre 2023

Les événements du Samedi 7 octobre 2023 ont des répercussions sur le monde entier, particulièrement pour nous familles juives. En fonction de l’âge et de l’exposition aux actualités de nos enfants, nous allons immanquablement avoir des questions ou faire face à de l’incompréhension voire de l’anxiété chez nos enfants. Comment réagir, comment parler à nos enfants ?

L’objectif primordial à ne jamais perdre de vue est de limiter au maximum leur anxiété et leur peur.

ACTE 1 : la CASHEROUT de l’image. Protégez vos enfants des images non contrôlées.

Pour cela :

Avant toute chose, mettre en place une Casherout de l’image ! Notre société est exposée à un flux incessant d’images plus anxiogènes les unes que les autres et nos enfants sont confrontés aux écrans notamment de smartphones de plus en plus tôt. En fonction de l’âge de nos enfants, la toute première action à mener est de les protéger des images horribles qui circulent sur internet librement. La Casherout ne concerne pas uniquement l’alimentaire mais toute nourriture humaine, tout ce qui nous nourrit, y compris les textes, les sons et les images. En fonction de l’âge de vos enfants, il peut être nécessaire de surveiller leur accès à internet le temps que les choses se calment, de le couper pour certaines applications spécifiques (le gouvernement Israélien conseille vivement de désinstaller TikTok et Instagram par exemple), voire de prendre leur smartphone s’ils sont vraiment trop petits pour être laissés seuls face au déluge d’images violentes et traumatisantes. Tout dépend de leur âge, de leur maturité, de leur capacité à gérer la curiosité morbide,… Cela n’empêchera pas un camarade de classe de montrer sur son smartphone à lui, mais limitera la tentation de visionner en boucle des images perturbantes. Peut-être est-ce aussi un bon moment pour discuter avec votre enfant de l’usage des écrans, d’internet et de l’image.

“La Casherout ne concerne pas uniquement l’alimentaire mais toute nourriture humaine, tout ce qui nous nourrit, y compris les textes, les sons et les images.”

ACTE 2 : CHEMA ISRAËL ! Ecoutez vos enfants sans délégitimer leurs mots.

Une fois les images traumatisantes tenues à distance autant que faire se peut, la toute première chose s’ils abordent le sujet avec vous c’est de les laisser parler et questionner ! Cela ne sert à rien de les noyer de discours préventifs ou réactifs : ils ne pourront de toute manière pas vous écouter s’ils sont préoccupés émotionnellement.

Les enfants les plus jeunes auront peut-être besoin de passer par un autre medium que les mots pour exprimer leur ressenti. Prenez le temps de vous asseoir avec eux tranquillement et de proposer dessins ou jeux pour qu’ils puissent évacuer ce qu’ils ne savent pas encore verbaliser. Rappelez-vous « l’enfant qui ne sait pas poser de questions » du Seder de Pessa’h !

ACTE 3 : « BRIT MILAH », l’alliance du mot ! Mettre des MOTS justes, précis, équilibrés pour aider à contrôler l’émotion et ses débordements et rassurer l’enfant

Quand vient ensuite le temps du dialogue parce qu’ils ont pu exprimer leurs émotions avec leurs mots, c’est le moment où les adultes ont un réel impact au niveau de l’apprentissage de la verbalisation pour maîtriser l’émotion.
Chez les plus jeunes, pour lesquels la verbalisation des émotions n’est pas toujours simple, l’anxiété peut se manifester par une hyper-réactivité émotionnelle : irritabilité, pleurs, tension, agressivité, majoration de l’opposition, trouble du sommeil, refus alimentaire, dépendance affective. Chez les plus grands enfants ou chez les adolescents, des conduites d’évitement (tendance à éviter les situations qui leur font peur) sont possibles. L’absentéisme scolaire ou un repli à la maison sont des signaux d’alerte.

  • Des mots JUSTES : cela veut dire adapter son langage à l’âge et au niveau de compréhension de l’enfant. Notamment sur le niveau de détail dans lequel entrer. « N’hésitez pas, avant de répondre, à questionner l’enfant pour comprendre à quoi il a déjà été exposé et dans quel contexte : interrogez le sur le niveau d’information dont il dispose (”Où/ Par qui/Comment en as-tu entendu parler ? Es-tu au courant des nouvelles ? Qu’as-tu entendu à l’école ou à la télévision sur ce sujet?”). Laissez votre enfant orienter ses questions, les enfants ne réagissent pas tous aux mêmes éléments. » recommandent les pédopsychiatres.
  • Des mots PRECIS : « Ne soyez pas surpris si votre enfant pose des questions crues sur la mort ou les blessures induites. Il y a parfois chez les plus jeunes une différence importante entre ce qu’ils utilisent comme mots et ce qu’ils en comprennent (par exemple ils ont entendu des mots assez violents mais ne savent pas ce qu’ils veulent dire précisément). N’hésitez pas à reformuler avec des mots plus précis et qui vous paraissent plus adaptés à son niveau de compréhension. Votre enfant se sentira ainsi plus à l’aise dans ses interrogations et aura la sensation que vous l’avez compris. » nous disent de même les spécialistes de l’enfance.
  • Des mots EQUILIBRES : Le challenge est de ne pas céder à la tentation de partager nos potentielles peurs d’adultes avec les enfants. Cela passe par la maîtrise du langage et implique de ne jamais dire des choses dont vous n’êtes pas sûrs et qui sont des faits vérifiables : les enfants ont besoin de pouvoir faire confiance aux adultes dans ces périodes d’anxiété. Toute exagération, même concevable émotionnellement dans un cadre adulte, risque de ne pas être assimilée avec la même grille de compréhension que le monde adulte partage. Cela implique pour nous, adultes, de nous renseigner en amont pour avoir les idées au clair, mais aussi d’être capables de dire simplement à nos enfants « Je ne sais pas, mais je vais chercher ». Les enfants ont besoin, en fonction de leur âge, de réponses factuelles plus qu’émotionnelles, même s’il est important pour les adultes de ne pas nier qu’ils peuvent être touchés émotionnellement aussi.

Acte 4 : PESSA’H : ne pas laisser le ‘Hamets pourrir en nous et en nos enfants. Construire en famille des stratégies pour ne pas laisser les nouvelles envahir notre quotidien et nous faire tourner en boucle.

Enfin, quand on s’est assuré que l’enfant n’a plus besoin de parler plus de son ressenti, de ses émotions, de ses réflexions, il est essentiel de bien rappeler que nous sommes ici en France et pas en Israël et que la situation est donc très très différente. Qu’il convient certes d’être prudents et vigilants, mais que ce n’est pas comparable et que notre pays n’est pas en guerre.

Comme pour la sortie d’Egypte, il s’agit enfin de se tourner vers le futur. Pour cela, il convient d’évoquer le fait que des actes mis en place pour sortir de cette situation. Ce ne sont pas que des mots, mais aussi des actions concrètes. Les enfants ont besoin de comprendre que les adultes sont là et s’organisent pour protéger.

Par ailleurs, malgré les premiers échanges, certains enfants continueront à ressasser les événements. Il est important pour les familles, mais aussi tout l’entourage, d’être vigilants à tous signes de difficulté à avancer. C’est ce que représente le ‘Hamets, le « fermenté » (donc pourri) dont on doit se débarrasser à Pessa’h pour continuer à avancer, à dépasser la dureté du présent pour envisager le futur, à sortir de son Egypte intérieure.

Acte 5 : MENORAH, la lumière de l’espoir en l’humanité

Une fois le présent géré, et les enfants en voie de se rassurer sur le futur et le positif, il peut être utile de conclure sur une réaffirmation de notre confiance dans l’humanité et le genre humain. Réinsister sur le fait que si quelques personnes sont malintentionnées, se comportent de manière agressive, violente, brutale, inhumaine, barbare… (mots à adapter en fonction de l’âge et de la compréhension de l’enfant), la plupart des gens sont charmants, aimants et aidants.

“Que ce qui se passe n’est le fait que d’une minorité qui ne représente pas l’humanité toute entière et que notre devoir, particulièrement à nous juifs, est d’incarner ce que l’humanité peut être de meilleur.”

Pour résumer, le SEDER (ordre) de communication avec nos enfants :

  1. CASHEROUT : protégez vos enfants des images traumatisantes
  2. CHEMA ISRAËL : écoutez vos enfants en premier
  3. BRIT MILAH : mettez des MOTS justes, précis et équilibrés
  4. PESSA’H : ne pas laisser le ‘Hamets pourrir en nous, sortir de l’enfermement dans notre Egypte intérieure
  5. MENORAH : la lumière de l’espoir en ce que l’humanité peut être de meilleur

 

Emmanuel Calef
Directeur Pédagogique du Talmud Torah

(Rédigé à partir des écrits des pédopsychiatres Catherine Jousselme, Richard Delorme, Benjamin Landman, Alicia Cohen, Alexandre Hubert et du neuropsychiatre Boris Cyrulnik)