Lettre de retour d’Israël
Mes très chers amis,
Je suis rentré hier après-midi de ce court séjour en Israël aux cotés des 24 autres membres de notre délégation des représentants du judaïsme français.
Je pensais vous écrire en tant que coprésident de JEM un rapport circonstancié et chronologique de ce voyage. Pour être sincère, cela ne m’est pas possible. Je vous écris simplement en tant qu’homme qui s’adresse à sa grande famille.
De ce voyage je reviens avec des sentiments et des émotions qui cheminent en moi et qui comme probablement pour chacun de mes compagnons de voyage vont nous travailler de l’intérieur. Pour avoir lu depuis ces quelques dernières heures les commentaires des uns et des autres de ceux-ci dans notre boucle WhatsApp, je me rends compte de 2 nécessités : d’abord être les témoins fortement déterminés à relater ce que nous avons vu, entendu et senti ; et être solides dans nos fonctions pour absorber le désarroi, la tristesse et la colère des juifs de France.
Ce que nous avons senti
C’est cette odeur de la mort qui imprégnait 15 jours plus tard les maisons que nous avons visitées dans le village de Kfar Azza.
Kfar Azza se tient à moins de 2km de la bordure de Gaza, on voit les immeubles gazaouis depuis ce village. C’est peut-être cette odeur qui témoigne le plus cruellement de la terrible souffrance qu’ont connu ces villageois.
Ce que nous avons vu
Ce sont les traces d’une brutalité et d’une sauvagerie sans nom, qui de maison en maison témoignent de ce que ces familles, ces personnes âgées, ces couples, ces femmes, ces enfants ont subi.
Ce que nous avons vu aussi à Choura dans ce centre médico-légal militaire, est proche de l’indicible : des containers réfrigérés que les soldats ont ouverts devant nous, dans lesquels des corps et malheureusement des morceaux de corps ne sont pas encore identifiés et témoignent là aussi d’actes commis par des terroristes qui ne méritent plus le nom d’hommes.
Ma vie professionnelle m’a fait collaborer avec de nombreux militaires français ou étrangers, je n’avais jamais vu d’officiers supérieurs ou de soldats dans un tel état de tension, les larmes aux yeux quand ils parlent, assumant avec une très grande humanité un travail d’identification des corps afin de rendre à chaque être humain que furent ces personnes, leur dignité et d’une certaine manière leur humanité. Tous ensemble, notre groupe et les militaires, sous la direction de Rav Weissenberg colonel de Tsahal nous avons fait un kaddish.
Ce que nous avons entendu
Ce sont les paroles de celles et de ceux, soldats et civils, qui sont rentrés les premiers dans ces villages et kibboutzim martyrisés, notamment ces soldats qui pour des raisons familiales ou personnelles étaient proches et se sont précipités les armes à la main pour défendre les familles et les villages qu’ils pouvaient encore espérer sauver.
Ils nous ont dit le déchainement de violence, la détermination des assaillants, les heures passées, parfois des jours, à combattre et à débusquer jusqu’au dernier terroriste qui cherchait à tuer encore.
Mais les paroles les plus difficiles que nous ayons entendues, ce fut à Jérusalem dans une salle de réunion du ministère israélien des affaires étrangères, en écoutant le témoignage de 3 familles d’otages. Chaque récit fut douloureux, celui qui m’a peut-être le plus impressionné est celui d’un homme qui parlait d’une voix douce en s’excusant presque que cela ne concernait que son fils, soldat de 19 ans dans un des centres attaqués par des terroristes et enlevé pour être amené à Gaza par eux. Il s’excusait pratiquement de n’avoir subi que cet enlèvement de son fils et qu’aucun autre membre de sa famille vivant dans une autre région n’ait à subir de violences physiques. A ses côtés, se tenait sa fille d’une douzaine d’années. Pendant que son père évoquait donc l’enlèvement de son frère, elle s’est mise à pleurer. Ses pleurs ont fendu le cœur de tous les pères, mères, grands-pères et grands-mères que sont les membres de notre délégation. A la fin de la réunion, je suis allé prendre cette jeune fille dans mes bras, j’ai entendu à nouveau ses pleurs et j’ai ressenti dans sa réaction comme dans le regard de son père un fugace moment d’apaisement de ne plus se sentir seuls.
Ce que nous avons entendu enfin ce sont des responsables de la société civile qui ont eu des mots d’une clarté implacable pour les dirigeants israéliens : faillite politique, faillite militaire, faillite sociale. Pour eux, la seule colonne vertébrale qui a tenu pendant les heures et les jours qui ont suivi cette crise, c’est la société civile. C’est la seule qui a su être immédiatement à la hauteur des circonstances. Cela présage une fois les combats terminés dans quelques semaines ou quelques mois, une remise en cause extrêmement profonde de toutes les élites. Mais c’est là un autre sujet.
C’est dans l’adversité que se forgent les temps nouveaux. Israël sera amené certainement à de profonds changements et nous aurons à accompagner solidairement ceux-ci. Cette refondation probable de la société israélienne est peut-être la lueur d’espoir qu’un jour la paix sera possible entre israéliens et palestiniens. Il faut espérer et probablement militer pour que de nouveaux responsables israéliens et palestiniens soient capables de reprendre le chemin des accords de paix dans un modèle que leurs ainés n’ont pas su réaliser.
Pour ce qui est du groupe de responsables des organisations juives françaises que nous formions, il m’a semblé déceler une unité comme je ne l’avais jamais ressenti. Les dirigeants du CRIF, ceux du Consistoire Central de Paris, du FSJU, du B’nai B’rith, de l’UEJF… Yonathan, Élie, Joël, Ariel, Philippe, Fabienne, … Nous avons fait la promesse tous ensemble devant les familles d’otages de ne jamais abandonner celles-ci, tant que tous les otages ne seront rentrés à la maison et d’agir auprès des politiques et des médias français d’une voix forte et claire tant que cela sera nécessaire.
Je veux remercier ici Yonathan Arfi et son équipe du CRIF d’avoir su nous rassembler et nous continuerons je l’espère sincèrement à œuvrer tous ensemble pour soutenir les Israéliens dans ce moment si difficile.
Nous avons aussi collectivement à canaliser et à accompagner la tristesse, le désarroi et la colère de l’ensemble des juifs de France. Nous aurons certainement à travailler solidement et solidairement pour que la communauté juive française dans son ensemble ne bascule pas dans un vote de colère, en se tournant par exemple vers un parti qui n’est pas conforme à nos valeurs.
Voilà mes très chers amis ce que je voulais et pour être très honnête, ce que j’avais besoin de vous partager.
Chalom à tous et toutes.
Gad Weil
Co-Président de JEM