Israël 2048

13 décembre 2023

Face à la situation de crise et à la terreur, l’objectif de ce numéro est de prendre un peu de recul pour faire entendre des voix d’analyse trop peu entendues sur Israël. Et proposer une analyse des faiblesses et des points de résilience afin d’imaginer ce que sera l’État pour son centenaire.

Se projeter, par-delà l’horreur

Alors que nous nous préparons toutes et tous à célébrer ‘Hanouka, y compris en Israël les familles endeuillées, alors que nous allons passer huit jours à célébrer le miracle de la lumière qui a su durer, quels temps sombres et terrorisants nous engloutissent depuis le 7 octobre et l’attaque barbare du Hamas !… Nous pensons tout le temps aux 1200 morts, aux 240 otages et à leurs familles. « Je n’ai plus d’espoir », nous dit Yshay Dan, qui a perdu sa belle-sœur et sa petite nièce dans l’attaque du Kibboutz Nir Oz et qui attend toujours son neveu retenu en otage à Gaza. Et pourtant, même sans espoir, cet octogénaire se dit plus sioniste que jamais.

J’ai beaucoup pensé à mon prédécesseur, le regretté Michaël Bar-Zvi, en écrivant ce numéro, à ce que ce sioniste métaphysique, amoureux d’Israël jusqu’à la moëlle, aurait écrit et dit. A l’heure où – pour la première fois de ma vie – j’ai eu peur qu’Israël soit simplement détruit, j’ai eu envie de remettre des Magen David sur toutes les pages du magazine de notre communauté. Venue de la culture, qui est ma métaphysique et ma moëlle à moi, en tant que journaliste, je me suis trouvée sidérée par l’ampleur de l’évènement : un pogrom a eu lieu en Israël, refuge ultime, comme l’explique Danny Trom en ces pages. « La culture, combien de divisions ? » me suis-je demandé dans mon autre média, Cult.news, avec mon associée et complice aussi choquée que moi, Amélie Blaustein Niddam. Et puis, nous avons eu une première réunion de la rédaction de Chema. Nos présidents, Jean-François Bensahel et Gad Weil, étaient formels : la seule chose à faire était d’aller de l’avant et de se projeter vers le centenaire de l’État d’Israël, en 2048.

Je dois vous avouer qu’au début, j’étais circonspecte à l’heure où nous étions en train de compter nos morts, d’attendre les otages, de voir se démultiplier les posts (décryptés par Rudy Reichstadt) et les actes antisémites explosant en Europe. Alors que nous découvrions notre isolement (qu’exprime notamment l’auteure Rachel Shalita) et le silence des ONG du monde entier (fait retenu et dénoncé par François Zimeray), alors qu’on avait peur de l’ouverture d’un front fatal au nord, il me semblait trop tôt pour se projeter plus que de quelques heures….

 

De longue date, le 10 octobre, je devais aller à Zagreb pour assister au rassemblement annuel de l’EJA, l’association des juifs européens. J’ai maintenu ce voyage pour essayer d’aller y voir plus clair avec d’autres juifs venus de divers horizons – et peut-être aussi pour me rapprocher de la Roumanie de ms ancêtres. Malgré une visite très douloureuse du camp de Jasenovac , cela m’a en effet permis de sortir de la paralysie totale, je me suis retrouvée avec le leader de la communauté juive de Hambourg à suivre un concert qui célébrait les… 75 ans de la naissance d’Israël et les 25 ans de l’association inter-entrepreneuriale entre Israël et la Croatie, dans un music-hall élégant (et à moitié vide pour raisons de sécurité), à suivre un orchestre folklorique (comme aux meilleurs heures de l’URSS) accompagner deux anciens candidats de l’Eurovision – un Israélien et une Croate polyglottes – chanter la paix et le dialogue des cultures. J’ai eu une petite tentation de rester en Croatie, mais je suis rentrée. J’ai la chance d’avoir rencontré Esther Marachli, qui m’est venue en aide pour les pages tendances et pour l’interview sur l’humour, avec Michel Wiewiorka au cœur du dossier (toujours clé dans de sombres temps, vous le lirez aussi chez Judith Cohen-Solal et Jonathan Hayoun).

Et nous avons fait une deuxième réunion de la rédaction de Chema, où j’ai mieux compris toute la sagesse qu’il y avait à se projeter.  Car oui, bien sûr, en lisant les pages de ce Chema, vous repenserez à la gravité de la crise que nous traversons : Myriam Revault d’Allonnes l’analyse en philosophe, Emmanuel Niddam en psychanalyste et Raphaël Zagury-Orly dénonce une nouvelle trahison des clercs, pas seulement en France, mais dans le monde entier. Et pourtant, même détruits par les horreurs constatées, plusieurs auteurs et autrices de ce numéro se projettent et nous projettent avec eux dans un futur qui est la vie. Celui d’allumer les bougies de ‘Hanouka – malgré la torture d’imaginer le sort des otages chez le rabbin Ann-Gaëlle Attias –, de reprendre l’œuvre commune de se projeter ensemble par de la littérature – et mieux, de la science-fiction – chez l’éditeur de Jérusalem 2048, Loïc Le Clerc, ou encore de faire preuve de réalisme pour démontrer que les grands enjeux géopolitiques de la région n’ont pas tellement bougé. En septembre, dans le dernier numéro de Chema, nous vous proposions un numéro « Guerre et paix » dans lequel aucun des auteurs sollicités n’a prévu le drame de cette nouvelle guerre. Et pourtant, certaines voix déjà s’élevaient pour expliquer que la paix n’est pas une question qu’on « gère », comme un pis-aller, mais plutôt quelque chose qu’on décide, de la manière la plus ferme et politique qui soit. Puisse la crise nous permettre de sortir de la gestion pour établir des bases solides pour la paix et notre sécurité. Cela passe avant tout par la culture, le dialogue et la transmission.

‘Hag Samea’h, allumez la lumière plus que jamais cette année.
A bientôt pour la sortie d’Égypte,
Bien à vous,

Yaël Hirsch
Rédactrice en chef de Chema 

Feuilletez le dernier Chema en cliquant ici