Écologie et Judaïsme

8 février 2023

Responsable du pôle jeunesse de JEM et diplômée de l’ESI Business School, l’école de commerce du développement durable, Tamara Settbon a pour nouvelle mission d’aider Judaïsme En Mouvement dans sa transition écologique. En tant que spécialiste des questions environnementales, elle est intervenue lors de notre grande soirée « Écologie et Judaïsme » organisée en l’honneur de Tou Bichvat. Découvrez son discours riche d’enseignements et plein de discernement !

Quand j’étais enfant, une de mes chansons préférées c’était Devant la mer, de la comédie musicale Les 10 commandements. Le refrain de cette chanson « Si la route se referme devant la mer, dis-moi à quoi ça sert ? » pose la question du sens, de l’intention qui se cache derrière nos actions. Et la paracha que nous lisons cette semaine, Bechalla’h, elle aussi pose la question de comment trouver la liberté, comment la conquérir et la garder.

Bechalla’h signifie renvoyer, on se situe au moment où Pharaon renvoie ou libère enfin les hébreux. Cette paracha comporte donc le récit principal de la construction du peuple juif : la sortie d’Égypte et la traversée de la mer des Joncs (aussi appelée la Mer Rouge). Notre paracha s’ouvre avec le verset suivant « lorsque Pharaon renvoya le peuple, Dieu ne les dirigea point par le pays des Philistins (…) Dieu fit dévier le peuple du côté du désert, vers la mer des Joncs et les enfants d’Israël partirent du pays d’Égypte ». Non pas par le chemin à choisir, mais par celui à ne pas choisir. Dieu n’a-t-il pas eu 430 ans pour prévoir le parfait chemin, le plus rapide, le plus court, le plus efficace vers la terre promise tant attendue et méritée ? Nous aussi, pendant tant d’années n’a-t-on pas cru que l’on avait choisi les meilleurs modes de consommation, la meilleure alimentation, la manière la plus efficace de produire ?

Dieu décide de faire changer de voie au peuple mais sommes-nous prêts, nous aussi, à changer de voie ? Parfois on croit que le chemin est tout tracé, que les choses de la vie doivent se dérouler de telle ou telle manière. Ce que nous allons vous inviter à faire tout au long de cette soirée en l’honneur de la nature, c’est de laisser de la place à l’inconnu, à l’impensé… Laissez-vous surprendre. Laissez vos idées reçues à la porte de la synagogue et autorisez-vous à voir le monde autrement, à le voir presque avec les yeux émerveillés et curieux d’un enfant.

La paracha Bechalla’h en quelques mots : c’est le moment de la sortie d’Égypte avec du pain qui n’est pas encore levé. Les hébreux se retrouvent paniqués avec, devant eux, la mer, et derrière eux les Égyptiens prêts à en découdre. Dieu opère un miracle : la mer des Joncs s’ouvre en deux pour laisser passer les hébreux à pieds secs, puis se referme tout de suite pour engloutir les Égyptiens. Après avoir traversé la mer, les hébreux sont reconnaissants et entonnent le Chirat Hayam[1]. C’est un très grand moment de joie et de danse pour tout le peuple. Puis, très vite, des questionnements assaillent les hébreux sur leur nouvelle vie dans ce désert qu’ils vont apprendre à apprivoiser.

[1] Cantique de la Mer Rouge, Az Yachir Moché

Qu’est-ce que qu’on mange ce soir ?

Première étape dans ce cheminement, ce sont ces fameux questionnements des hébreux, des questionnements qui résonnent tout particulièrement avec nous parce qu’on l’a tous déjà entendu à la maison « Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? ». Après tous les miracles, toutes les merveilles auxquels ils ont assisté, patatra, les hébreux se posent des questions d’un banal affligeant : « qu’est-ce qu’on va boire dans ce désert ? » Et encore quelques versets plus loin « qu’est-ce qu’on va manger ? ». Les hébreux en viennent même à se dire que l’Égypte, ce n’était pas si mal finalement : « mieux vaut pour nous servir l’Égypte que de mourir dans le désert »[1].

Face à ce tout nouveau monde qui se présente à eux, celui du désert, ils ont peur. Et quand on a peur, on a tendance à vouloir revenir en arrière. On se conforte dans son idée que « c’était quand même bien mieux avant ». On veut retourner dans sa zone de confort, autrement dit, dans une emprise ou un esclavage que l’on n’arrive même plus à discerner. Et l’Égypte dans laquelle se trouve les hébreux, c’est exactement ça, c’est le monde de l’étroitesse, c’est un monde sans déploiement possible ni vers l’intérieur, ni vers l’extérieur, un monde qui n’évolue pas. Or, sortir de l’esclavage, c’est aussi sortir de cette étroitesse physique et mentale.

Pour rassurer les hébreux, Dieu va leur donner à boire et à manger, oui. Ainsi pendant 40 ans les hébreux se sont nourris de manne dans le désert. Cette manne apparait comme une réponse immédiate de satisfaction. Mais… pas complètement. Car la manne sera assortie de lois de consommation à suivre. La première des choses à faire quand on la ramassait, c’était de la mesurer. Comme il est dit « recueillez-en chacun selon ses besoins : un ômer par tête, selon le nombre de personnes, chacun selon ceux qui sont dans sa tente vous prendrez »[2]. Un Omer par tête, ça correspond à 43,2 œufs de taille moyenne (les sages sont formels sur la quantité… !) ou bien 2 litres. Dieu, à travers la voix de Moïse va ajouter une autre règle : « n’en gardez pas jusqu’au lendemain »[3]. Or les hébreux, trop soucieux de mourir de faim dans le désert, ne vont pas prendre 2 Omer seulement le jour de Chabbat. Certains vont faire des stocks probablement de peur de manquer. Mais que se passe-t-il avec cette manne supplémentaire, cette manne qui n’est pas nécessaire ? Elle s’abîme, « elle grouille de vers et se gâte »[4].

Et c’est ainsi que les hébreux vont apprendre pour la première fois qu’être libre, cela ne veut pas dire tout avoir, tout posséder. Être libre, c’est apprendre à se poser des limites, à déterminer les extrémités, à définir un début et une fin. Par ailleurs, la paracha Bechala’h nous invite à consommer de façon responsable. Elle nous dit en filigrane que ce n’est pas convenable de faire d’énorme provisions si cela ne répond pas à notre besoin personnel et réel. De la même façon que nous sommes des êtres limités, la quantité de nourriture dont nous avons réellement besoin est, elle aussi, limitée. Apprendre à se limiter, cela ne veut pas dire ignorer ses besoins. Mais pour être un homme libre, il faut justement les connaître ses besoins.

[1] Chemot 14.12

[2] Chemot 16.16

[3] Cette règle a une exception car le seul jour où l’on peut en garder jusqu’au lendemain, c’est le jour de Chabbat.

[4] Chemot 16.20

“C’est l’heure de se réveiller et de réapprendre à être libre. Peut-être que notre voyage de 40 ans vers un monde plus vert, plus responsable et moins polluant a déjà débuté !”

J’ai rien à me mettre !

En plus de « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? », une autre phrase est très souvent prononcée dans nos maisons. Elle est souvent prononcée par un homme ou une femme, qui après avoir sorti tous les vêtements de son armoire, et les avoir tous essayé un à un fini par dire, excédé, « j’ai vraiment RIEN à me mettre… ! » Si les hébreux étaient très soucieux de savoir qu’ils pourraient manger et boire dans le désert, ce qu’ils allaient porter comme vêtements, ça ne les intéressait pas du tout !  D’ailleurs, beaucoup plus tard dans la Torah, lira dans la Paracha Ekev que Dieu qui demande aux bné Israël de se rappeler de plusieurs choses, de la manne, des commandements, et aussi du fait que « tes vêtements ne se sont pas usés sur toi » [1]

Rachi commente en disait que les habits ne s’usaient pas, mais qu’en outre ils restaient toujours propres et frais, et que ceux des enfants grandissaient avec eux[2]. Ainsi, pendant 40 ans, les hébreux n’ont pas eu besoin de changer de vêtements, ceux qu’ils avaient sur eux leur suffisait. Comme les hébreux, nous aussi avons à apprendre à nous libérer du joug vestimentaire. Et je ne suis pas en train de vous inciter à laisser tomber les habits, au contraire. Le judaïsme met un point d’honneur à ce que nous soyons toujours présentable, à ce que nous honorions les jours de fêtes par le biais des vêtements que l’on porte, le vêtement étant le reflet de la personne que nous sommes, de l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons.

Plutôt que d’abandonner le souci du vêtements, au contraire, je vous invite à le questionner en vous demandant si vos achats sont responsables ? s’ils sont durables ? si vous allez pouvoir longtemps porter le vêtement que vous achetez. Si vous l’achetez parce qu’il vous plait vraiment ou parce qu’il suit un effet de mode ?

[1] Dévarim 8.4 – שִׂמְלָתְךָ לֹא בָלְתָה, מֵעָלֶיךָ

[2] שמלתך לא בלתה THY RAIMENT DID NOT WEAR OUT — the clouds of Divine Glory used to rub the dirt off their clothes and bleach them so that they looked like new white articles, and also, their children, as they grew, their clothes grew with them, just like the clothes (shell) of a snail which grows with it

C’était mieux avant… ou peut-être pas ?

L’aventure des hébreux dans le désert n’est pas un voyage sans but ou sans fin. Au contraire, c’est un voyage qui a un objectif : la terre promise, et une limite de temps [1] : 40 ans. Sauf que pour y arriver, il faut accepter de faire le voyage, accepter de se laisser guider, accepter que l’on ait fait des erreurs tout ayant la conviction que rien (ou presque) n’est irréparable. Ces 40 ans dans le désert ne sont pas une punition. Au contraire, ces années représentent le chemin de l’apprentissage. Moïse, quand il a guidé le peuple avait lui-même 80 ans, 2×40 ans. Moïse c’est la figure même de l’homme qui se remet en question. C’est celui qui se rend compte du « fardeau de ses frères »[2] et qui lutte contre l’Égyptien. C’est celui qui change son mode de gouvernance quand Yitro, son beau-père, le questionne. C’est un homme qui apprend à croire en lui, qui apprend à faire confiance à l’Éternel quand celui-ci le choisi pour libérer le peuple. C’est l’homme qui apprendra aux hébreux que la libération n’est pas un point final mais un processus constamment continué.

À l’instar de Moïse et du peuple hébreu, c’est à notre tour d’entreprendre ce voyage, un voyage vers un monde nouveau, vers un monde plus libre. Et libre pourquoi, parce que nous ne vivrons plus dans la crainte constante que la prochaine génération soit en danger. La tradition juive ne cesse de répéter « tu diras à la prochaine génération / tu enseigneras à ton fils et ta fille / de génération en génération – lédor, vador ». Pour que cette transmission puisse perdurer, c’est l’heure de se réveiller et de réapprendre à être libre. Peut-être que notre voyage de 40 ans vers un monde plus vert, plus responsable et moins polluant a déjà débuté. Peut-être pas. Ce qui est certain c’est qu’à JEM nous avons pris conscience que nous sommes responsables, et que nous n’allons plus fermer les yeux. Nous n’allons plus détourner notre regard. Je ne pense pas que c’était mieux avant, contrairement aux hébreux qui se sont leurré avec une image d’Épinal de la vie en Egypte. Et si je comprends que l’évolution et le changement puissent faire peur, je sais aussi qu’ils sont notre seul espoir. Et cet espoir ou plutôt, ce mode de vie vertueux et respectueux de la nature est déjà dans les textes de la tradition juive, nous les avions juste oubliés…

[1] Kiddouch – Havdalla : instaurer une limite dans le temps, le chabbat ne doit pas durer toujours

[2] Chemot 2.11

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