Romain Gary et son amour des femmes

22 novembre 2022

La 33ème édition de la Journée de la Culture et du Livre Juifs qui aura lieu le Dimanche 4 Décembre au centre Beaugrenelle célèbre Romain Gary à travers une conférence « Clair de FemmeS » de Philippe Brenot, enseignant et psychanalyste. Rétrospective sur la vie et l’œuvre de cet écrivain amoureux de la féminité.

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Mai 1914, Roman Kacew voit le jour dans une famille juive de Wilno (la « Jérusalem du nord », actuelle Vilnius en Lituanie), ville tour à tour russe, allemande puis polonaise. Il est le fils d’Arieh Kacew et de Mina Owczynska qui exercent respectivement les métiers de fourreur et de modiste. La disparition de son père, assassiné en 1943 dans le ghetto de Vilnius, hantera à jamais l’écrivain.

En 1928, Mina, délaissée par son mari, à court de ressources et en deuil d’un fils issu d’un premier mariage, s’installe sur la côte d’azur, à Nice, avec Roman (14 ans). Fantasque, excessive « Tout, chez elle, était immédiatement extériorisé, proclamé, déclamé, claironné, projeté au-dehors », mère juive caricaturale, formidable et écrasante, persuadée que dans ce pays rêvé et sublimé, son enfant adoré pourra s’accomplir pleinement, elle imagine pour lui le plus fabuleux des destins, « Tu seras Victor Hugo, prix Nobel, Ambassadeur de France ».

Elle ajoutait aussi « Tu auras toutes les femmes à tes pieds ». Roman, devenu Romain, poursuit ses études au lycée puis part étudier le droit à Paris. Il obtient la nationalité française en 1935. Engagé dans les Forces Aériennes Françaises Libres durant la Seconde Guerre mondiale, compagnon de la Libération, il prend (et conservera) le pseudonyme de Gary comme nom de résistant. Gary (Gari !), expliquait-il, veut dire « brûle ! » en russe à l’impératif. « C’est un ordre auquel je ne me suis jamais dérobé, ni dans mon œuvre, ni dans ma vie ».

“Avec l’amour maternel, la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient jamais. ”

Romain Gary

Ses brillants états de service lui valent d’être décoré commandeur de la Légion d’honneur à la fin de la guerre. Romain Gary embrasse la carrière diplomatique dès 1945. Cette même année, paraît son premier roman L’Éducation européenne, précédé, néanmoins dès 1933, du Vin des morts resté inédit jusqu’en 2014 (voir p. 13). C’est avec Les Racines du ciel (prix Goncourt 1956) qu’il est révélé au grand public. À partir de la publication de La Promesse de l’aube, en 1960, l’un des plus beaux portraits de mère de la littérature, il se consacre de plus en plus à l’écriture et quitte le Quai d’Orsay l’année suivante, après avoir représenté la France en Bulgarie, en Suisse, en Bolivie et aux États-Unis.

Il signe plusieurs dizaines de romans sous divers pseudonymes (Romain Gary, bien sûr; mais aussi Fosco Sinibaldi ou encore Shatan Bogat). Et c’est sous le nom d’Emile Ajar qu’il obtient un second prix Goncourt en 1975 avec La Vie devant soi. Une extraordinaire supercherie littéraire, un inédit pied de nez qu’il révélera dans son œuvre posthume Vie et mort d’Émile Ajar (1981).

Deux ans avant son suicide, le 2 décembre 1980, il publie Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, confidences cyniques et angoissées d’un sexagénaire obsédé par le mythe de la virilité et le déclin sexuel.

Romain Gary laissera une lettre mystérieusement datée « Jour J » dans laquelle il précise : « Aucun rapport avec Jean Seberg », actrice dont il fut l’époux de 1963 à 1970 et qui s’était donné la mort l’année précédente.

Romain Gary, sa mère, la femme et les femmes

La figure de la mère est évoquée dès les premières pages de La Promesse de l’aube, Gary la décrit comme « un centre de gravité qui l’a sauvé ». Mais il observe : « Avec l’amour d’une mère, la vie vous a fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais ».

On prête volontiers à Romain Gary une solide réputation de séducteur. Sa relation aux femmes est chaotique. Mélancolie ? Solitude ? Instabilité ? Il accumule les conquêtes pour très vite s’en lasser. Dans un passage devenu célèbre, il déplore qu’au- cun amour ne puisse concurrencer celui que sa mère lui portait : « Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt ; ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. Avec l’amour maternel, la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. » Dans un document diffusé sur Arte, il confesse : « Ma mère m’a eu tard, à 35 ans, et toute sa personnalité s’est cristallisée sur moi. Elle a vécu une vie d’échec et j’apportais pour elle une « promesse de triomphe », comme elle disait (…) Il s’agissait pour moi de rembourser ma mère, non pas de ce qu’elle a fait pour moi, mais de toutes les saloperies que la vie et le destin ont faites contre elle. »

« La seule chose qui m’intéresse, c’est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité, affirme-t-il dans un entretien à Radio Canada en 1980, mon rapport avec les femmes a été d’abord un respect et une adoration pour ma mère, qui s’est sacrifiée pour moi, et un amour des femmes dans toutes les dimensions de la féminité ».

Par Evelyne Vitkine