Pourim 5785 : Édito rabbinique

L’espoir du Miracle caché : c’est un de ces moments où notre tradition nous invite à orienter notre regard un peu différemment…
L’histoire de Pourim ne nous ramène pas à Jérusalem, mais à Suse, la capitale de Perse. Elle ne nous expose pas aux mille et un miracles de l’action divine, mais, au contraire, cache leur auteur sous les traits d’une simple jeune fille… Esther, la cachée. Dans l’histoire de Pourim, le monde se renverse et les sorts s’inversent.
L’histoire de Pourim se déroule en Perse sous le règne du roi Assuérus. Après avoir destitué sa reine Vashti, il choisit Esther, une jeune femme juive, comme nouvelle reine, sans savoir qu’elle appartient à ce peuple. Pendant ce temps, Haman, un haut conseiller du roi, nourrit une haine profonde envers Mordechai, l’oncle d’Esther, qui refuse de se prosterner devant lui. Haman convainc le roi de décréter l’extermination de tous les Juifs de l’empire. Informée par Mordechai, Esther met sa vie en danger en intervenant auprès du roi. Elle révèle son identité juive et expose le complot d’Haman. En conséquence, le roi condamne Haman à être pendu sur la potence qu’il avait préparée pour Mordechai. Les Juifs obtiennent alors le droit de se défendre contre leurs ennemis et remportent une grande victoire.
« וְנַהֲפוֹךְ הוּא אֲשֶׁר יִשְׁלְטוּ הַיְּהוּדִים הֵמָּה בְּשֹׂנְאֵיהֶם »
« Et ce fut le contraire qui arriva : les Juifs dominèrent leurs ennemis » (Esther 9:1)
Face à un tel récit, à Pourim, nous adoptons deux postures opposées : celle de la légèreté et – trop souvent on l’oublie – celle aussi de la responsabilité…
À Pourim, nous savourons la vie, nous nous réjouissons de la fin de nos ennemis, au point même de nous autoriser une ivresse modérée, juste le temps de confondre Haman et Mordechai… On relâche la pression, on se lâche en mangeant les oreilles d’Haman… Allons-y gaiement ! Le jeu et l’illusion ont toute leur place à Pourim ; ils sont la soupape nécessaire qui nous permet de poser les habits du survivant pour redevenir simplement vivants.
Mais il y a façon et façon de se réjouir ; comme si, même au moment où nous nous accordions quelques plaisirs régressifs, il fallait encore une fois faire preuve d’un minimum d’éthique. Pourim a aussi ses mitzvot, ses commandements :
Les 4 « Mem » :
- Meguila : écouter la lecture de la Meguila le soir et le matin
- Mishloah Manot : échange de cadeaux alimentaires
- Matanot La’evyonim : don d’argent aux plus démunis
- Mishté : participation à un festin
Toutes ces mitzvot nous rappellent notre responsabilité vis-à-vis de l’autre. Oui, un Juif a le droit à ses petits moments vengeurs et régressifs, mais à condition de ne pas se transformer en monstre d’égoïsme.
À Pourim, cette considération pour l’autre demeure avec un caractère très « national » : tout Juif doit avoir les moyens de se réjouir, de participer à la fête, d’échapper, ne serait-ce qu’un instant, à sa condition. Mais là encore, la légèreté consentie n’a rien à voir avec une inconscience coupable.
Dans le Talmud, une histoire assez cocasse nous le rappelle :
Rabbah invita Rabbi Zeira à partager le festin de Pourim avec lui. Pendant le repas, ils burent beaucoup de vin, comme il est coutume de le faire à Pourim. Rabbah, dans un état d’ivresse, se leva et « tua » (ou blessa gravement) Rabbi Zeira.
Le lendemain, lorsque Rabbah se rendit compte de ce qu’il avait fait, il pria pour la résurrection de Rabbi Zeira, et celui-ci revint à la vie.
L’année suivante, Rabbah invita à nouveau Rabbi Zeira pour le festin de Pourim. Cependant, Rabbi Zeira déclina l’invitation, disant : « Les miracles ne se produisent pas chaque année. »
Nous, Juifs, croyons au miracle mais ne restons jamais passifs en l’attendant… Cette année encore, il nous semblera difficile de nous réjouir, mais en attendant que la roue tourne encore une fois, nous passerons à l’action. Nous recouvrirons symboliquement le nom d’Haman en tapant du pied et en agitant des crécelles d’enfants… et ainsi, déjà, nous aurons fait reculer le mal.