Odessa, centre d’entraide

5 mai 2022

A l’heure où la guerre s’intensifie en Ukraine, notre correspondante et bénévole Elena Oiberman nous a accordé un peu de son temps pour répondre à nos questions. Cheville ouvrière d’une petite communauté de jeunes russo-ukrainiens à Paris avant le conflit, elle dirige aujourd’hui un groupe de bénévoles à Odessa, relais logistique essentiel de JEM, pour aider les ukrainiens restés sur place et la résistance !

Quelle est la situation actuelle à Odessa ?

Odessa ça va, malgré les annonces récentes. En réalité, ça change tous les jours, on ne se fie plus trop aux nouvelles qui circulent. Pour le moment Odessa est préservée par rapport à Marioupol, c’est un refuge tranquille. Il y a quelques jours, les russes ont tiré sur une station essence où il y avait une base militaire à l’extérieur de la ville. Les combats sont tout autour mais nous sommes prêts à accueillir les russes. A Odessa, tout le monde est armé !

Comment arrivez-vous à gérer toute la logistique des collectes envoyées par JEM ?

J’ai une super équipe composée d’un ami israélien, d’une fille qui organisait à l’époque des expositions de bijoux à Odessa, un italien qui travaillait dans la restauration, un boulanger français et bien d’autres. La plupart vivaient déjà à Odessa et d’autres comme David (le boulanger) et mon ami israélien sont venus en renfort. Les réseaux sociaux nous sont très utiles aussi.

En quoi sont-ils utiles ? 

Grâce aux réseaux sociaux, nous créons des groupes de discussions pour connaitre précisément les besoins des uns et des autres. Par exemple, la dernière fois, une mamie a pu être évacuée en jetant à quelqu’un dans la rue un papier par sa fenêtre. Une personne a posté l’info sur Instagram qui a été taggué et retagguée jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. C’est un mode de fonctionnement rapide et efficace. Les réseaux sociaux se transforment en réseaux d’entraide ! Nous avons des centaines de personnes qui nous suivent de Belgique, d’Allemagne, de France et d’Autriche via les messageries instantanées comme Télégramme ou Whatsapp, ils nous proposent des aides en tous genres (juridique, sanitaire, psychologique…).

Avant le conflit, vous animiez une communauté de jeunes russo-ukrainiens à Paris. Comment vous êtes-vous retrouvée là ?

Je me suis retrouvée dans cette situation un peu par hasard. Le 24 février, j’ai reçu l’appel d’une amie de notre communauté russophone qui m’a dit «  peux-tu aider à évacuer une famille de kharkiv ?  » . Grâce à mes contacts j’ai trouvé une aide : le propriétaire d’une flotte de taxis nous a laissé ses voitures et un électricien a pris le volant pour nous aider à évacuer ces gens. Et plus les demandes affluaient, plus les personnes nous proposaient leur aide. Nous avons créer des groupes hyper organisés sur Télégramme entre Paris, Vienne et Odessa. Au début, nous avons créé une sorte de « Quartier Général » chez le rabbin du 3ème arrondissement de Paris. Nous avons rempli son appartement de cartons, il était choqué. Plein de gens nous ont ramené des produits, même ses voisins, les pharmaciens, etc. Lorsque nous avons envoyé les premiers colis à Odessa, j’ai pensé qu’il valait mieux que j’aille là-bas pour bien sécuriser la chaine logistique. A Paris, je savais que tout se passait bien car nous travaillions avec des transporteurs que nous connaissons depuis des années, mais il fallait que je supervise la gestion des colis entre l’ouest de l’Ukraine et Odessa. Je ne tenais pas à ce qu’ils soient perdus ou volés même si dans ces petits villages, tout le monde se connait. Finalement, des personnes nous ont aidé à ramener tous ces colis humanitaires gratuitement jusqu’à Odessa. Nous leur avons fait confiance et cette chaine logistique fonctionne aujourd’hui parfaitement, ce qui nous permet de bien acheminer les dizaines de colis envoyés par JEM chaque semaine. Néanmoins, je ne pouvais pas repartir en France, j’avais trop honte, beaucoup d’ukrainiens sont partis pour fuir la guerre, je ne pouvais pas laisser ceux restés sur place. Tout le monde aide à sa manière, tout ceux qui peuvent du moins car certains sont traumatisés par la guerre.

“Tout le monde aide à sa manière, tout ceux qui peuvent car certains sont traumatisés par la guerre.”

Comment les colis sont-ils concrètement acheminés aux familles et victimes de la guerre ?

Nous avons un groupe de personnes de confiance à Odessa à qui je donne des colis pour les distribuer aux gens. Une partie va à un groupe de résistants juifs, nous envoyons beaucoup de médicaments à un médecin urgentiste installé dans un moulin qui aide de nombreux civils. La nourriture est dispatchée entre plusieurs associations et je suis également en lien avec un hôpital psychiatrique à qui je transfère de l’argent. Aussi, à chaque fois qu’un colis est déposé, nos porteurs prennent une photo, ils nous l’envoient et bien souvent la poste sur les réseaux sociaux. L’un d’entre eux dit toujours « Dura Lex, Sed Lex » (NDLR : « Dure est la Loi, mais c’est la Loi ») en référence au fait qu’il faut toujours prendre une photo du colis déposé sinon, c’est comme si tu l’avais volé.

Quelles sont vos prochaines missions à Odessa ?

Odessa est vraiment devenue comme un centre d’entraide pour aider les autres villes plus touchées par la guerre. C’est le minimum que nous puissions faire, c’est pour cette raison que je ne peux plus repartir à Paris. En ce moment mes missions sont très variées, je dois trouver de la nourriture pour un refuge d’animaux qui a été bombardé hier avec une centaine de chevaux et je développe un projet NFT pour aider les juifs odessites. Nous cherchons sans cesse de nouvelles idées pour aider !