Sport et judaïsme : La Torah est un sport de combat

25 juillet 2024

Les stéréotypes ont la vie dure et les supposées piètres performances sportives des juifs sont souvent tournées en dérision : à une femme qui demande une lecture facile dans une comédie hollywoodienne (1), on offre une brochure d’à peine quelques pages, La Contribution des Juifs dans l’Histoire du sport. Si l’opposition entre le sport et le peuple de la Torah semble actée, elle ne coule pourtant pas de source…

Article extrait du magazine Chema n°17 : Sport et Judaïsme, accessible ici.

Le judaïsme est en effet une discipline de l’action, une spiritualité incarnée dans une pratique qui se méfie de l’ascèse autant que de l’excès, aux yeux de laquelle le corps n’est pas à dénigrer mais à chérir, écrin modelé à l’image de Dieu. De là à faire de la Torah le manuel de tout bon sportif, il n’y aurait eu qu’un pas. Alors d’où vient cette drôle d’idée que le sport et la Torah font mauvais ménage ? Embarquons pour un petit voyage le long des sources juives.

LA BIBLE : PLUTÔT LETTRES CLASSIQUES QUE COURS DE SPORT

Au niveau biblique, on ne trouve ainsi nulle condamnation de l’exercice physique en soi. Et cependant, à bas bruit, on voit s’esquisser une préférence pour les casaniers sur les arpenteurs des grands espaces. C’est du petit chouchou Jacob, « l’homme simple habitant les tentes », dont descendent les Hébreux, et non de son frère Esav, « habile chasseur et homme des champs »(2).

La tradition rabbinique ne manquera pas de lire dans cette assignation à résidence de Jacob sa propension à l’étude: « De quelles tentes s’agissait-il ? » demande Rachi. « Des maisons d’étude de Shem et Ever… »

Cette dualité, bien sûr réductrice, entre le muscle et l’esprit, on la retrouve dans la célèbre confrontation entre David et Goliath. Là encore c’est au petit malin capable de faire vaciller un colosse par la ruse que les Hébreux s’identifient.

On aurait tort de croire que les Hébreux sont dépourvus de vigueur, Samson en est la preuve. Il faut noter que sa force herculéenne dépend intégralement de son voeu de nazirat (3), autrement dit, elle est une faveur concédée par Dieu, qui accorde à la spiritualité la première place. Comme si de la force, Dieu se méfiait, et qu’Il n’était prêt à l’accorder qu’à la condition d’un grand nombre de garde-fous. En effet, pour être nazir, il faut se garder de ne jamais approcher un calice de vin de ses lèvres… Et pourtant, les remparts divins ne suffiront pas à sauver Samson de lui-même. Personnage tragique s’il en est, Sanson aura les yeux crevés, comme aveuglé par sa propre puissance ; et perdra la vie dans une destruction qu’il a lui-même initiée : il fera s’écrouler le Temple païen où on le tenait captif, disparaissant aux côtés de ses ennemis. De sa vigueur, Sanson ne sut jamais faire jaillir une force créatrice, tout juste a-t-il réussi dans sa colère à tuer plus de Philistins qu’aucun autre, triste trophée aux allures d’avertissement : la force se retourne toujours contre ceux qui la déploient.

Ce n’est pourtant pas tant de l’activité physique en soi dont la Bible se méfie, que de la plus commune des activités sportives de l’époque : la chasse.

Avant Esav, c’était Nimrod, le premier chasseur, que la tradition rabbinique fustigeait. Ce ne serait donc pas le sport en soi, mais plutôt les modalités éthiques de sa pratique qui poseraient problème, nommément, la cruauté. C’est à ce titre que la chasse est interdite (4) par la plupart des décisionnaires.

LES RABBINS À LA CHASSE CONTRE LA CRUAUTÉ

De cruauté il est aussi question dans ce qui constitue la plus grande activité sportive à l’époque de la domination romaine : les jeux du cirque. Ce sont eux qui porteront le coup de grâce aux relations Sport-Torah.

En effet, l’arène du cirque réunit en un lieu tout ce qui fait horreur aux rabbins : l’idolâtrie – les jeux faisant partie intégrante des fêtes religieuses païennes ; la frivolité – le culte rendu aux corps dénudés des athlètes et la débauche qui accompagnaient les jeux ; et enfin le sadisme – ou quand la mise à mort d’un homme est un divertissement populaire. Les sages du Talmud autorisent cependant leurs coreligionnaires à assister à ces événements, même le jour du Chabbat, car ils pourraient sauver la vie des mirmillons et autres secutors – en indiquant par le geste du « pouce levé » leur souhait de voir la vie de la victime épargnée. Celle-ci était parfois juive d’ailleurs, et on raconte que Reish Lakish, célèbre bandit repenti devenu rabbin, avait été gladiateur (5).

Mieux encore, dans le traité Soucca6, on présente la célébration de la cérémonie du puisage de l’eau. Y sont décrits les enchaînements acrobatiques des sages :

« Les pieux et les hommes de bien dansaient devant la foule assemblée pour la célébration. Avec des torches enflammées ils jonglaient, et entonnaient des chants de louanges à l’Eternel. »

Alors les rabbins, acrobates hors pair, sont-ils de grands athlètes qui s’ignorent ? Au temple, les prouesses sportives ne sont pas une fin en soi, mais l’expression d’une joie pure, de l’euphorie que la ferveur suscite.

Cette euphorie, elle accompagne aujourd’hui les Maccabiades, « Jeux Olympiques cacher », qui se déroulent cet été en Israël. Plus de 10 000 athlètes y sont attendus, et des milliers de spectateurs, qui ne savent sûrement pas que le Livre des Maccabées, d’où tire son nom la rencontre sportive, illustre la vilenie des actions accomplies par les complices du cruel Antiochos par … la construction d’un gymnase à Jérusalem.

Retour du refoulé grec, pied de nez aux clichés, aboutissement de la liquidation du « juif de l’exil » par le sionisme, on laissera à d’autres le soin de tirer les leçons des Maccabiades : on préfère regarder le prochain Ajax/Tottenham, ou comme on dit depuis les tribunes : les « Ajax Jews » contre « The Yids ».

1 Airplane! 1980
2 Genèse 25.
3 Un homme ou une femme prend le statut de nazir en s’abstenant de devenir impur, se couper les cheveux et de boire du vin.
4 Teshouva du R. Ezekiel Landau (XVIIIème siècle)
5 Gittin, 47a.
6 Soucca 51a

 

*Sophie Bigot-Goldblum est titulaire d’un master recherche de L’EHESS (Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales), ainsi que d’un Master d’Études Juives de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Après ses études en yeshiva en Israël et aux Etats-Unis, elle enseigne le Talmud au sein du programme paneuropéen Ze Kollel, des programmes du centre Fuchsberg et du beit Midrach Ta Shma.

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