Chema n°14: le mag JEM

5 octobre 2023

Magazine Chema n°14 : Guerre et paix: un point de vue juif.

Chers lecteurs, chères lectrices,

Nous assistons depuis le 24 mars 2022 et à quelques kilomètres de chez nous à une guerre meurtrière qui a conduit à la mort 120 000 soldats russes et 70 000 soldats ukrainiens (New-York Times, 18/08/2023). Aujourd’hui, il y a plus de 8 millions de réfugiés ukrainiens en Europe et 5 millions de déplacés dans le pays. « On ne peut pas s’asseoir tranquillement, on doit aller sur le front et sauver des gens », nous dit le Grand Rabbin d’Ukraine Moishe Azman, qui fait le tour du monde pour convaincre les occidentaux et Israël de l’urgence. Alors que la contre-offensive ukrainienne, lancée le 8 juin, patine face aux forces aériennes russes, une partie des Ukrainiens s’est installée pour de bon à l’étranger et l’autre continue à vivre, une vie interrompue régulièrement par des alarmes annonçant les bombes, comme l’explique le journaliste Antoine Vitkine.

D’un autre côté, la discorde en Israël qui frôle la guerre civile, nous préoccupe toutes et tous. Cette menace de rupture du contrat social met même en péril l’armée (lire notre interview de Stéphane Goldin). Et elle a lieu au moment de deux anniversaires cruciaux : les 50 ans de la Guerre de Kippour, qui hante encore la société israélienne, et les 30 ans des accords d’Oslo, porteurs d’un espoir de paix durable, qui semble aujourd’hui bien lointain.

Chose étrange, ceux et celles qui étaient trop jeunes pour mesurer l’impact de ces accords d’Oslo pourraient penser que la Guerre et la Paix sont deux abstractions dont les contours sont de plus en plus flous. En Israël et peut-être bientôt chez nous, qui avons tant été heurtés par les attentats des 20 dernières années, il n’y aurait plus de paix ou de guerre mais une sorte de climat plus ou moins tendu, que nous laisserions nos états et nos services secrets « gérer »…

Et pourtant !

Comme je mesure la chance que j’ai de n’avoir pas eu à vivre dans un pays en guerre, de ne pas avoir eu à faire le choix de fuir, comme une partie de ma famille, ou, comme l’autre moitié de ma famille, de rester et de décider de me battre.

Et pourtant ! Quel idéal que la paix, quelles constructions a- t-elle permises, notamment l’Europe, érigée par des pionniers, telle la journaliste Louise Weiss dont je vous présente le pacifisme un peu plus loin.

Et pourtant ! Si les boucliers israéliens arrêtent encore tout le temps des missiles venus de territoires palestiniens, quelle réelle avancée que la paix avec l’Egypte après Camp David (1979) et la reconnaissance mutuelle comme peuples des Israéliens et des Palestiniens avec Oslo (lire l’article de Frédéric Encel)…

Alors oui, la guerre est humaine, trop humaine, et elle a toujours existé… Et Mireille Haddas-Lebel nous raconte comment cela se passait au premier siècle de notre ère. Très humains – et finalement heureusement plutôt allergiques au sang versé – nous avons également toujours tenté de l’encadrer. La recherche de la “Guerre Juste” est présente aussi bien dans notre Torah – même quand Dieu ordonne de la mener – que chez le docteur de l’Église Saint-Thomas d’Aquin (XIIIe siècle), ou encore chez le philosophe Grotius qui écrit les prémisses du “Droit des gens”au XVIIe siècle. Il y a de “justes” motifs pour entrer en guerre et une attitude “juste” à avoir au cœur du conflit, même le plus violent. Et ce comportement répond désormais du Droit international.

Mais nous qui avons la chance de vivre en paix, ce n’est jamais “juste” la paix que nous connaissons. “Chalom”, c’est à la fois une salutation individuelle et un salut global, fragile comme la colombe de Noé et puissant comme un idéal qui nous fait sortir de nous-mêmes. Pour paraphraser Tolstoï, si la guerre n’est pas un jeu, la paix non plus n’est pas de la galanterie. Elle n’est pas passive. Elle aussi se prépare par les moyens de la politique, d’autant plus depuis que le nucléaire a rendu possible la destruction de l’humanité (Benoît Pélopidas et Emmanuel Niddam nous en parlent). La paix demande beaucoup de courage et d’engagement : c’est ce que nous rappellent aussi les Guerrières de la Paix qui, venues du monde entier, se réunissent à nouveau pour marcher contre la guerre dans quelques jours en Israël.

En ce début d’année où vous entrez en vous-mêmes pour déceler les conflits que vous avez pu attiser et les proches ou lointains que vous avez pu blesser, je vous souhaite une belle introspection et une grande victoire de la Paix.

Yaël Hirsch
Rédactrice en chef Chema

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