Chema n°13

31 juillet 2023

Chema n°13 : Prendre soin : judaïsme et souci de l’autre.

Alors que les baby-boomers atteignent le « grand âge », que le nombre des 75-84 ans doit croître de 49% entre 2020 et 2030, et que nous sortons d’une crise sanitaire qui a mis les soignants au centre de l’espace public, nous n’avons jamais eu autant conscience de la valeur – personnelle et sociale – de la Santé. Une Santé qui ne passe pas seulement par l’acte médical, mais aussi par tout un processus de soins. Qu’est-ce que le judaïsme peut nous apprendre aujourd’hui sur le soin ? C’est une question de tradition, d’éthique, et cela correspond surtout à une vision humaniste du vivre ensemble.

Le Soin est un humanisme

C’est à l’initiative de Fabienne Sabban, membre du comité de rédaction de Chema et administratrice culture JEM, et à la suite de la merveilleuse Nuit de Chavouot que nous avons préparée ensemble, qu’est né ce numéro sur le soin. La notion de soin résonne fort dans nos sociétés secouées par le coronavirus. Après avoir traversé ensemble – et, paradoxalement, chacun enfermé chez soi – une période où la maladie pouvait terrasser quelqu’un en quelques jours, après avoir applaudi chaque soir à 20 heures nos soignants, il est grand temps de mettre le souci de l’autre au centre de nos préoccupations.

Ce courant de pensée, qui regarde autour de l’acte médical pour s’intéresser à tout l’écosystème du processus de soin, s’appelle le CARE. Il vient du monde anglo-saxon, il est souvent traduit par le terme un peu ronflant « d’éthique de la sollicitude » et c’est, à l’origine, une histoire de femmes : les infirmières, les aides-soignantes, les sage-femmes aussi bien que les mamans. Cette maman trop discrète que le metteur en scène Mohamed El Khatib a placée au début et au cœur de son théâtre avec la pièce Finir en beauté. Quelle aubaine pour un magazine juif de pouvoir mettre en avant le soin et la sollicitude des mères ! Et pour moi, fille et petite-fille de médecins, regrettant un peu qu’être docteure en sciences politiques ne permette pas de soigner, quelle joie d’entendre d’autres dire que les humanités et les sciences sociales doivent reprendre leur place, si l’on veut réellement « prendre soin » ! Tout au long de ce numéro, vous découvrirez comment le « souci de l’autre » est une voie de reconstruction du pacte social.

A commencer par le système de santé lui-même. On le voit bien avec l’expérience dont nous parle Alain Toledano, cofondateur et directeur de l’Institut Rafaël. Il défend une vision intégrative du soin et accompagne les patients et la société de la prévention à la réhabilitation. Une vision qui, lorsqu’elle devient réalité, augmente le bien-être des patients, et qui pourrait bien proposer, à terme, un modèle économique salvateur pour notre système de santé solidaire.

Mais quelle est la place de Dieu, si le soin est l’affaire des hommes ?

Comment passe-t-on du « Dieu médecin », qui a aussi su créer les maladies des plaies d’Égypte dont parle Marc-Alain Ouaknin, à l’humanisme du soin ? La version chrétienne du soin est ancrée dans l’Histoire par le biais de la charité, comme nous le rappelle l’exposition qui a eu lieu au Musée de Dole et l’article de Thibaut Tretout. Mais du côté juif, bien avant l’éthique de Lévinas, est-ce un hasard si Maimonide était médecin ?  Les commandements seraient peut-être le mode d’emploi laissé par Dieu pour nous confier la responsabilité de prendre soin les uns des autres… Avec comme premier impératif : « Chema », « Écoute » !

En effet, tout au long des entretiens que j’ai menés pour ce numéro de Chema, deux impératifs ressortent, si l’on veut vraiment « prendre soin » : donner le temps au patient et au soignant de jour leur rôle, et savoir écouter. C’est cette oreille attentive qui est au cœur de la mission de l’aumônier d’hôpital, explique Gabriel Farhi. Et Emmanuel Niddam rappelle qu’avant même l’invention de la psychanalyse et des techniques médicales « au temps du talmud », il y avait l’écoute. Au cœur des soins donnés aux résidents des institutions du CASIP-COJASOR et dans le travail que fait au quotidien Sarah Berreby auprès des jeunes de JEM, elle est encore là. Et elle donne même lieu à une mise en récit qui soigne et qui permet de reprendre le contrôle de sa vie, dans la RécitThérapie dont nous parle le docteur Michelle Lévy-Soussan. « Tenir parole », c’était le festival de trois jours, libre d’accès, que proposait le Théâtre de la Ville à l’été 2020. La parole, la promesse, les mots que nous tressons les uns avec les autres et les uns pour les autres, c’est le socle du contrat social. Se le rappeler et agir en conséquence c’est se donner les moyens d’une vie ensemble.

Merci à l’ensemble des participants de ce numéro, qui sont souvent très pris par le soin qu’ils donnent et qui ont trouvé le temps de me parler. Merci aussi à Joav Toker et à l’invité des petits-déjeuners du Fonds de Dotation JEM, Chemi Peres, de nous parler de paix dans ce numéro dédié au soin, et 30 ans après les accords d’Oslo.

Je profite de cet espace pour glisser un erratum relatif à l’article sur Simone Veil et Golda Meier publié dans le numéro précédent de Chema, sur les grands hommes et les grandes femmes du judaïsme. Simone Veil était bien ministre de la santé et non de la justice quand elle a défendu la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse. Et elle a présidé le premier parlement européen élu.

Chers lecteurs et chères lectrices de Chema, bel été, et comme disait une plasticienne qui me touche beaucoup dans une série amoureuse qui date de 2014, Sophie Calle : « Prenez soin de vous » !

Yaël Hirsch 
Rédactrice en chef du magazine Chema

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