Chema n°19 : L’intelligence Artificielle dans nos vies juives : un retour du Golem ?
Consacré à l’intelligence artificielle le nouveau numéro de Chema, le trimestriel de JEM qui relaie les informations de notre communauté et analyse notre actualité, vient de sortir !
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Quel bouleversement que l’irruption de l’IA dans nos vies. Et à quelle vitesse ! Elle révolutionne notre sphère privée, redéfinit l’organisation du travail et questionne finalement la manière dont nous concevons l’humanité elle-même. Ces transformations, du simple mot que votre téléphone prédit, avant même que vous l’ayez formulé, à la disparition annoncée de certains métiers – certains aspects du travail des comptables, traducteurs ou même des développeurs se retrouvent caducs, doublage et voix off sont menacés, comme jadis les allumeurs de réverbères balayés par l’électricité – nous forcent à réfléchir à ce qui définit véritablement notre humanité.
Ces machines, qui se glissent dans nos vies sous des prénoms féminins rassurants tels qu’Alexa ou Mona, ne se contentent plus de remplacer le travail manuel. Elles nous permettent désormais de déléguer des tâches intellectuelles, soulevant des questions profondes sur la dialectique maître-esclave. Car confier à une machine ce qui relevait autrefois du propre de l’homme n’est pas sans conséquences. L’émergence des intelligences artificielles, rendue accessible au grand public avec des outils comme ChatGPT d’OpenAI en octobre 2022, s’apparente à l’ouverture d’une boîte noire : une créature née d’un océan de données dont la provenance et la logique nous échappent souvent. Dialoguer avec elle, apprendre d’elle, affiner nos propres savoirs grâce à elle… autant de promesses exaltantes et troublantes. Dans certains domaines – des échecs à la génétique en passant par le jeu de go – ces IA surpassent déjà nos capacités. Et selon des experts comme Yann LeCun (le directeur scientifique de l’IA de Meta) ou Luc Julia (l’inventeur de SIRI), elles pourraient égaler ou dépasser l’intelligence humaine dans bien d’autres domaines d’ici deux ou trois décennies.
Face à ces perspectives, une figure emblématique du judaïsme nous revient en mémoire : celle du Golem, cette créature façonnée par le Maharal de Prague. Pourquoi le Golem, plutôt que l’apprenti sorcier de Goethe ou la créature du docteur Frankenstein ? Peut-être parce que le Golem, qui porte le nom de vérité sur son front, incarne à la fois le sacré et la transgression. À l’image du Golem, les IA actuelles sont les créatures des créatures que nous sommes. Les créatures de Dieu peuvent-elles elles-mêmes inventer de toutes pièces des êtres animés, par leur simple esprit ?
Le Dossier spécial de ce Chema de ‘Hanouka propose des éclairages divers et permettra, nous l’espérons, de générer plus de questions que de réponses. Questionner, c’est une faculté qui nous semble plus juive et humaine que jamais dans le jeu de rôle que proposent les chabots. Et ce n’est peut-être pas un hasard si, parmi les fondateurs de l’intelligence artificielle, il y a beaucoup de Juifs – comme me l’a fait remarquer Jean-Gabriel Ganascia, que je remercie pour ses éclairages : aussi bien Norbert Wiener, le père de la cybernétique (voir son portrait P.22-23), que John McCarthy, le fondateur de l’IA, dont la mère était juive lituanienne. Et que dire de l’équipe qui a créé OpenAI, composée entres autres de Sam Altman et Ilya Sutskever ? Les questions évoquées dans ce dossier émanent de spécialistes issus de domaines variés: la santé, avec le professeur Rosenberg, en charge d’un très grand complexe hospitalier de Montréal ; les industries créatives et culturelles, avec David Hanau ; ou encore la philosophie avec la théoricienne de l’hybridation, Gabrielle Halpern.
Évidemment, l’histoire et la psychanalyse sont mobilisées, avec les contributions de nos éditorialistes Thibaut Trétout et Emmanuel Niddam. Et puis, l’IA est aussi utile à l’étude juive elle-même et il y a fort à parier qu’à la fin de cette lecture, vous rejoindrez « Virtual Havruta », présenté par Antoine Leboyer. Vous pourrez également apprécier par vous- même la lecture de deux sermons de ‘Hanouka bien distincts, explorant les différences entre intelligence humaine et intelligence artificielle.
Je remercie évidemment les contributeurs et contributrices de ce numéro qui m’ont permis de me sentir moins passive face à ce qui est en train de nous arriver, en me permettant de mieux en comprendre les enjeux, les espérances et les points aveugles.
Bonne lecture !
Yaël Hirsch
Rédactrice en chef du magazine Chema