Rencontre avec Marine de Moliner
Marine de Moliner, récemment investie comme rabbin de JEM, exerce actuellement ses fonctions au sein de la communauté juive libérale de Strasbourg (UJLS). Partageant son temps et ses responsabilités entre Paris et Strasbourg, elle nous partage son expérience et ses réflexions dans cette interview exclusive.
Pourquoi avoir choisi le rabbinat comme vocation ?
Le rabbinat était une évidence pour moi. Le seul choix qu’il me semble avoir fait en devenant rabbin est tout simplement d’assumer pleinement qui j’avais le potentiel de devenir, et qui je me devais d’être pour vivre en pleine adéquation avec moi-même. Je me souviens avoir affirmé à un ami, il y a plus de douze ans déjà, alors que je sortais tout juste de Sciences Po et que j’étais engagée dans une toute autre voie professionnelle à l’autre bout du monde : « Tu verras je serai rabbin avant mes quarante ans ». Défi relevé avec même cinq ans d’avance !
Plus concrètement, le rabbinat était pour moi une évidence à plusieurs titres. C’était la manière la plus profonde et celle qui me ressemblait le plus de pouvoir me mettre au service de la communauté et de redonner une petite partie des nombreuses bénédictions et leçons de Torah et de vie que j’ai reçues des nombreux rabbins qui m’ont influencée.
Le rabbinat est pour moi l’expression la plus forte et résolue de mon engagement pour le tikkoun Olam, la réparation du monde, dans un cadre où mes actions ont à la fois l’impact le plus puissant et le plus cohérent par rapport à mon identité, mes valeurs et mon éthique.
Qu'avez-vous retenu de votre formation à l'institut Schechter ?
S’il était clair de par mon attachement à une halacha égalitaire que je ferais mes études rabbiniques au sein du mouvement Masorti, j’ai toujours pensé que je les ferais à New York, une ville dans laquelle j’avais déjà vécu et où mon judaïsme était pleinement enraciné. Comme le dit le proverbe : l’être humain fait des plans et Dieu rit…
Schechter a été pour moi une véritable bénédiction à tellement d’égards qu’il est difficile de lui rendre pleinement justice. Son excellence académique indéniable ainsi que son niveau d’exigences unique dans la formation de ses rabbins sur le plan talmudique et halachique m’ont finalement convaincue que Schechter était l’école rabbinique pour moi.
Mais la plus grande force de cette école rabbinique vient de l’environnement extraordinaire qu’elle constitue pour ses élèves. C’est un endroit privilégié où non seulement la Torah et les Mitzvot sont enseignées, mais où elles font parties de la vie quotidienne. J’ai rencontré au cours de mes études à Schechter des rabbins, professeurs et camarades dont les actions, même les plus anodines, débordaient de bienveillance, de soucis de transmettre, mais surtout d’incarner une Torah forte et authentique dans le respect de toutes et tous.
Schechter se démarque de tellement d’autres institutions parce que cette école sait déceler, accompagner et démultiplier le potentiel des futures rabbins en offrant une attention, une écoute et un suivi intensif et particulier, le tout baigné de sagesses rabbiniques et humaines rares.
“C'est cette dynamique si précieuse et qui m'a tellement apportée dans ma construction personnelle et rabbinique, que je m'attache à recréer dans chaque communauté, mais surtout dans chacune de mes interactions.”
Pourquoi avez-vous choisi d'intégrer la synagogue libérale de Strasbourg ?
Avant d’être « rabbin JEM », j’ai été élève rabbin JEM, c’est à dire que JEM a financé mes études rabbiniques en Israël et j’ai pu faire tous mes stages et ma formation pratiques au sein des communautés JEM en France.
L’idée était qu’une fois devenue Rabbin, je sois basée la moitié du temps dans nos communautés parisiennes et que l’autre moitié de mon temps soit consacrée à répondre aux besoins de nos communautés de province.
J’ai eu la chance que la communauté libérale de Strasbourg rejoigne JEM au moment de mon ordination.
Après trois mois de stage à Strasbourg pendant que je finissais mes études, mais surtout après trois mois comme rabbin référente officielle de la communauté, je peux confirmer que le shidduch est plus que prometteur.
Vous êtes la sixième femme rabbin en exercice en France, que vous ont inspiré vos prédécesseuses (Floriane Chinsky, Delphine Horvilleur, Ann-Gaëlle Attias) ?
J’évite justement de parler de moi comme une « femme rabbin ». Je suis une rabbin masortie, une rabbin française, une rabbin engagée, une rabbin passionnée… mais une « femme rabbin » est une appellation que je ne souhaite pas faire mienne. Lorsqu’on parle de mes collègues masculins on ne parle pas « hommes rabbins », mais de rabbin.
Il me semble normal dans un contexte égalitaire comme le nôtre d’être aussi tout simplement « rabbin » et pas une « femme rabbin.
Dans nos communautés à Paris, Toulouse, Strasbourg et bientôt Marseille, il s’avère que le rabbin est une femme, et j’ai espoir que dans un très proche futur cela soit la plus grande banalité. Selon le même raisonnement, et en écho avec l’enseignement de la tradition juive qui nous enseigne qu’on ne compte pas les personnes de la communauté, je n’accorde pas d’importance au fait d’être la 6ème. Ce qui en revanche est essentiel pour moi est de m’assurer de ne surtout pas être la dernière, et que toutes les femmes passionnées, motivées et compétentes qui souhaitent devenir rabbin puissent avoir accès à des études de qualité et qu’elles puissent exercer leur rabbinat sans discrimination, l’dor Vador…de générations en générations. C’est un des enseignements les plus forts que j’ai reçu de Floriane Chinsky, qui s’est assurée, en tant que Rabbin, tutrice et mentor que je puisse accéder à la meilleure formation rabbinique pour moi, non seulement en me mettant en relation avec sa propre école rabbinique, mais aussi en me formant sur la pratique au sein de sa communauté.
Une des leçons les plus marquantes que mes collègues et prédécesseuses m’ont inspirée de manière indirecte mais très forte est la prise de conscience de l’importance de la diversité et la complémentarité des personnalités rabbiniques. En les regardant évoluer, faire vivre leurs communautés et répondre aux défis contemporains du judaïsme progressiste, j’ai vu s’exprimer des voix, des personnalités et des sensibilités uniques et différentes, démultipliant ainsi les forces et la portée d’un judaïsme égalitaire. Chacune à leur manière, en exerçant leurs fonctions rabbiniques avec force et convictions mais au travers de prismes de personnalités uniques, m’ont renforcée dans l’idée que la figure du rabbin non seulement pouvait mais surtout devait s’inscrire dans la force de la singularité de nos personnalités et de nos chemins de vie.
Elles m’ont permis de m’émanciper d’un modèle de leadership stéréotypé, et de me justifier dans la pleine recherche et expression de ma propre voix/voie rabbinique.
Êtes-vous une rabbin féministe ?
Oui. Si dans nos synagogues la dimension égalitaire, est actée non seulement par la parité rabbinique, mais aussi par la totale égalité de droits et des responsabilités religieuses dont jouissent nos membres, sans aucune discrimination de genre, cette réalité est encore loin d’être malheureusement la plus répandue hors de nos murs.
Encore trop souvent les femmes sont tenues hors des synagogues, loin de la Torah et des mitzvot, privées de leur identité juive, de leur héritage sous couverts de raccourcis fallacieux qui consisteraient à dire qu’il en a toujours été ainsi.
Il est essentiel de militer pour une visibilité des femmes pratiquant des mitzvot telles que le port des tzitzit et des tefillin ainsi que la conduite d’offices devant un public mixte. Cela passe à la fois par le fait que nos voix soient entendues, soutenues, et amplifiées et que les représentations de femmes dans ces situations de pratique et de leadership religieux soient démultipliées et largement diffusées. Plus jamais nous ne devons entendre une femme nous dire qu’elle ignorait qu’elle avait le droit de pratiquer pleinement sa religion, ou alors qu’elle n’avait jamais vu d’exemples féminins réalisant ces mitzvot.
“Encore trop souvent les femmes sont tenues hors des synagogues, loin de la Torah et des mitzvot.”
Quels sont vos projets à venir, vos perspectives pour renforcer le judaïsme progressiste en France ?
Mes perspectives pour renforcer et poursuivre le développement significatif du judaïsme progressiste et égalitaire en France sont en réalité à la fois simples et ambitieuses. Il s’agit d’affirmer mais surtout de vivre de manière inconditionnelle le judaïsme authentique et légitime qui est le nôtre!
Un judaïsme égalitaire est non seulement essentiel, mais il est aussi pleinement ancré dans la Torah, la tradition juive, et dans la halacha.
C’est notre responsabilité rabbinique de continuer à créer, à ancrer et à développer des communautés véritablement inclusives, où toute la diversité des voix juives qui font la richesse et la force du peuple juif, soient accueillies, entendues, appréciées à leur juste valeur, soutenues et amplifiées. C’est à mes yeux essentiel que chaque personne qui souhaite vivre une vie juive pleinement épanouie sache que cela est possible dans nos communautés. Et que tous ces engagements, aussi multiples qu’ils soient, sont bienvenus mais surtout nécessaires à notre judaïsme, qui est fidèle à ce qu’il a pu être au cours de son histoire : pluraliste.
Le défi incroyable auquel je souhaite véritablement répondre en tant que rabbin est d’aller puiser dans la richesse du pluralisme de notre tradition, la force et les ressources pour faire que la halacha et nos communautés puissent répondre de la manière la plus juste possible aux challenges uniques que présentent nos sociétés contemporaines.