Rencontre avec Jordan Allouche
Le prochain atelier La Manne, qui aura lieu dimanche 21 janvier, accueille Jordan Allouche, lobbyiste et fondateur d’Ecolobby pour discuter de lobbying et des changements de paradigme face à la crise écologique. Découvrez les défis de sa mission apparemment impossible – rendre visibles et audibles ces organisations malgré leurs ressources limitées – grâce à une interview parue sur TheGood.
Pouvez-vous nous présenter Ecolobby ?
Fondé en 2021, Ecolobby est un cabinet spécialisé dans le conseil en affaires publiques, dédié exclusivement aux acteurs de la transition écologique. Nous accompagnons les associations environnementales et les acteurs économiques engagés dans leurs stratégies de communication et d’influence pour être visibles et audibles auprès de l’ensemble de leurs parties prenantes. Notre mission est de donner corps à une forme de “lobbying activiste”, en combinant des logiques professionnelles issues du secteur des affaires publiques et un engagement écologiste très fort.
Pourquoi avez-vous eu l’idée de créer Ecolobby ?
L’univers du lobbying est accaparé par des groupes, des organisations, des fédérations ayant des intérêts économiques, notamment industriels, généralement néfastes pour l’écologie et les vivants. Quand on compare les budgets alloués aux activités de lobbying de Google qui s’élèvent à 2 millions d’euros par an, de l’AFEP à 1,7 million d’euros par an, d’Engie et Total à un million d’euros par an, et Réseau Action Climat à 10 000 euros par an, on constate l’écart gigantesque et le manque cruel de budget pour faire connaître les organisations à impact positif. En face, les acteurs environnementaux sont sous-représentés, sous dotés, peu formés à ces enjeux et méthodes, et finalement assez peu impactants. L’idée derrière Ecolobby est d’organiser les conditions d’un “contre pouvoir” dans ce secteur, en dotant les acteurs de la transition des mêmes outils que les autres, pour lutter efficacement dans ce secteur. C’est un peu David contre Goliath.
Comment expliquez-vous que la frontière entre communicants et lobbyistes soit de plus en plus floue ?
Les activités de lobbying renvoient à la conception et le déploiement de stratégies visant à influencer la décision, généralement politique. Ces activités suivent l’évolution du champ politique lui-même, qui intègre davantage de logiques de communication, s’appuyant sur les médias et les réseaux sociaux. Le secteur des affaires publiques a su s’adapter et adopte des approches similaires, c’est-à-dire “360”, reflétant cette tendance. Par ailleurs, comme dans la plupart des autres métiers de service, j’observe une augmentation du nombre de lobbyistes indépendants qui offrent à leurs clients des services complets, couvrant un large éventail de compétences. Un lobbyiste efficace, de nos jours, est perçu comme une sorte de couteau suisse. Cette polyvalence contribue à brouiller les lignes entre le lobbying et la communication, car les compétences requises pour exceller dans ces domaines deviennent de plus en plus interconnectées.
“La COP 28 qui se tient en ce moment à Dubaï est celle de tous les records. ”
Quelle est votre analyse des jeux d’influence actuels des lobbyistes à la COP28 ?
La COP 28 qui se tient en ce moment à Dubaï est celle de tous les records. Au moins 2 456 représentants de l’industrie fossile participent à cette COP, selon la coalition Kick Big Polluters Out (KBPO). A titre de comparaison, ils n’étaient que 11 en 1995 lors de la COP21 à Berlin. Si les lobbyistes des énergies fossiles étaient un pays, ils compteraient la troisième plus grande délégation après les Emirats Arabes unis et le Brésil. Certains d’entre eux sont même intégrés directement aux délégations des pays, et disposent par conséquent d’un droit de vote, à commencer peut-être par le président de cette COP, le Sultan Al Jaber, président de la COP et d’une compagnie pétrolière. En face, les associations environnementales et pays engagés pour la sortie des énergies fossiles paraissent bien seuls. Il faudra attendre la fin de la COP et les engagements qui seront pris pour mesurer l’impact des lobbys sur la conférence Climat. On peut craindre le pire.
Vous êtes aussi l’un des quatre co-fondateurs de QuotaClimat qui connaît un franc succès sur les réseaux sociaux. Comment expliquez-vous ce succès ?
Les médias jouent un rôle crucial dans la formation des perceptions, de la compréhension et de la volonté du public à agir vis-à-vis du changement climatique. Et la plupart des citoyens connaissent et savent l’impact et le pouvoir dont disposent les médias. Nous constatons cependant une dissonance frappante entre les choix médiatiques faits aujourd’hui, et le contexte d’urgence écologique dans lequel nous progressons. L’agenda médiatique semble totalement déconnecté de cette réalité, dicté par l’instantanéité de l’actualité et, peut être aussi, par la recherche de sujets plus “sensationnels”. QuotaClimat est une association qui a pour objectif d’améliorer la couverture médiatique des enjeux de transition écologique. C’est donc la rencontre entre une volonté populaire et un constat partagé par beaucoup.