Fabienne Sabban : Les Dix Paroles comme socle de principes universels

Découvrez le programme de nos Nuits d’étude dans nos synagogues parisiennes en cliquant ici. 

La démocratie traverse une période de crise, marquée par plusieurs faits préoccupants : la montée de l’individualisme, la fragmentation du débat public, et une perte des repères communs. Il est plus que jamais essentiel de s’interroger sur les fondements éthiques qui sous-tendent la démocratie et de réfléchir aux moyens de la revitaliser. Les Dix Paroles dont nous fêtons le don lors de Chavouot, ne sont pas seulement un texte religieux, mais un socle de principes universels qui traversent les civilisations et qui, aujourd’hui encore, peuvent nous éclairer sur les défis des démocraties modernes. Les Dix Paroles posent les bases d’un système éthique où la responsabilité individuelle et collective est primordiale, où les rapports entre l’homme et la société sont régis par des principes de justice, de respect et de transmission. Ce sont ces valeurs qui permettent à une démocratie de se construire et de perdurer. En revisitant les Dix Paroles à la lumière des défis contemporains, la Nuit d’étude de Chavouot se propose donc d’ouvrir un espace de réflexion où la pensée juive et les enjeux démocratiques se croisent pour offrir de nouvelles perspectives sur le monde d’aujourd’hui.

En effet ! La démocratie repose sur un principe fondamental : le pouvoir appartient au peuple, qui élabore ses propres lois et décide de son destin. Ce modèle semble à première vue incompatible avec une Loi révélée, hétéronome par essence, imposée de l’extérieur et ne relevant pas de la volonté populaire. Comment, alors, un texte divin, à l’opposé de l’autonomie citoyenne, pourrait-il non seulement coexister avec un régime démocratique, mais encore l’enrichir et le renforcer ?

Quelques exemples qui nous révèlent que ces Dix Paroles contiennent des éléments fondamentaux qui trouvent un écho dans les principes démocratiques. L’un des piliers de la démocratie est la capacité à transmettre des valeurs et des principes communs à travers les générations. L’injonction « Honore ton père et ta mère » va au-delà du respect des parents : elle signifie que chaque génération a la responsabilité de préserver et de transmettre un héritage éthique et moral. En démocratie, cette idée se traduit par l’importance de l’éducation civique, de la mémoire collective et du respect des institutions. L’institution du Chabbat, met en avant un principe fondamental : le temps ne doit pas être exclusivement consacré à la productivité individuelle, mais aussi à la construction d’un lien collectif. En démocratie, ce principe se retrouve dans l’idée que la vie en société ne peut être réduite à des échanges marchands; elle repose également sur des moments de réflexion et de partage.

Le refus de l’idolâtrie peut être compris comme un rejet des pouvoirs absolus et des vérités imposées. En démocratie, cela se traduit par la nécessité du débat, de la remise en question des dogmes et de la limitation des pouvoirs. Ainsi la Torah rappelle que la légitimité d’un régime ne repose pas seulement sur la volonté du plus grand nombre, mais sur un engagement moral et spirituel qui transcende les époques et les intérêts partisans.

L’étude juive repose sur une dynamique de questionnement, de débat et de transmission, qui présente de nombreux parallèles avec les principes démocratiques. Le Chema Israël, principal credo du judaïsme, insiste sur l’obligation d’enseigner et de transmettre à chaque génération, en toutes circonstances. Le Talmud est fondé sur la discussion et la confrontation des points de vue. Aucune vérité unique n’est imposée ; au contraire, chaque question donne lieu à une multiplicité d’interprétations. Ce modèle est essentiel pour une démocratie vivante, où le dialogue et le pluralisme doivent être valorisés. Le judaïsme est la seule civilisation dont les textes canoniques sont des anthologies de débats. Les prophètes débattaient avec Dieu, les rabbins débattaient entre eux. Le débat est le fondement de la tradition intellectuelle juive, écrivait Jonathan Sacks, ancien grand Rabbin du Royaume Uni. Loin d’être une simple exploration théorique, la méthode d’étude juive constitue ainsi un véritable laboratoire de la pensée critique, indispensable à une démocratie éclairée

La grande table ronde de Beaugrenelle réunira trois intellectuels qui ont consacré de nombreux ouvrages à la démocratie :

• Vincent Peillon, philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale, est un spécialiste reconnu de la pensée républicaine et de la laïcité. Son travail met en lumière l’héritage des Lumières et le rôle fondamental de l’éducation dans la construction du citoyen.
• Dominique Schnapper, sociologue et ancienne membre du Conseil constitutionnel, a beaucoup écrit sur les tensions entre démocratie et pluralisme, et la manière dont les sociétés modernes peuvent concilier unité et diversité.
• François Rachline, essayiste et exégète, un fidèle de nos intervenants lors de nos nuits de Chavouot, est un penseur dont les travaux croisent philosophie et réflexion sur les textes de la tradition.

Ces trois intervenants ont été sélectionnés non seulement pour leur expertise, mais aussi pour leur capacité à engager un dialogue riche et stimulant sur les enjeux profonds qui traversent nos démocraties. Leur complémentarité promet un échange passionnant où se croiseront philosophie politique, sociologie et exégèse, offrant ainsi au public une réflexion éclairée et structurée sur la représentation du peuple et la vitalité démocratique.

En parallèle des débats philosophiques et politiques, il est essentiel de préserver l’essence même de Chavouot : une soirée entière dédiée à l’étude des midrashim et des textes du Talmud, en petits groupes, en ‘havrouta.

Ce retour aux sources répond à plusieurs objectifs :

• Offrir un espace de réflexion spirituelle : dans une société en quête de sens, le besoin de se reconnecter aux textes et aux valeurs fondamentales est très fort.
• Renforcer le lien communautaire : la Nuit d’étude est un moment privilégié où les membres de la communauté se retrouvent pour partager un temps de réflexion et d’échange.
• Réaffirmer l’importance de la transmission : en permettant aux participants d’approfondir leur connaissance des textes, on renforce le lien entre tradition et modernité.

Ce recentrage permet donc de conjuguer réflexion contemporaine et ancrage dans la tradition.

Cette année, nous mettrons particulièrement l’accent sur la jeunesse !

Pour renforcer cet engagement, des jeunes de Yahad, notre groupe des 18-35 ans, animeront plusieurs ateliers d’études, créant ainsi une dynamique intergénérationnelle stimulante. Ces jeunes, déjà impliqués dans la vie communautaire, guideront les discussions. Une jeune élève rabbin, Anna Klarsfeld, sera également présente pour animer certaines sessions aux côtés de nos rabbins Delphine Horvilleur et Yann Boissière. Son regard neuf et sa sensibilité pédagogique permettront d’aborder les thèmes de la soirée sous un angle accessible et interactif. Des professeurs du Talmud Torah, accompagnés de leurs jeunes élèves, participeront activement à l’animation des ateliers de réflexion en ‘havrouta (étude en binôme).

Cette Nuit d’étude de Chavouot s’inscrit dans une double dynamique : une réflexion profonde sur les défis démocratiques contemporains et un retour aux fondamentaux de l’étude juive. En explorant les Dix Paroles sous un prisme nouveau, elle propose une approche originale qui allie tradition et modernité, transmission et engagement citoyen.

Interview réalisée par Yaël Hirsch dans le vingtième numéro de Chema.
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