Avancer sans tomber

30 avril 2025

Se mettre en mouvement, voilà le projet de JEM, au coeur du judaïsme.

Que faisait Abraham l’hébreu הָעִבְרִי , sinon être en mouvement, marcher, comme une haute statue de Giacometti, frêle mais déterminée, Abraham le passeur, celui qui franchit le fleuve, mais aussi, car c’est aussi le sens de הָעִבְרִי, le transgresseur.

 

Héritiers d’Abraham, les Juifs sont donc en mouvement au moins tant que le Messie n’est pas venu. Nous ne sommes donc pas près de nous arrêter de marcher, et le judaïsme d’être en mouvement, de se reformuler en permanence, de s’approfondir, de se comprendre, de faire travailler ses fondements devant des événements contraires, de s’adapter quand c’est nécessaire, d’accepter le contact avec le monde, de s’ouvrir à lui, comme en sortant d’Egypte lorsque les hébreux ont traversé la mer Rouge avec une grande foule de non-Hébreux qui tous ensemble ont reçu la Torah, d’être en mouvement au point d’avoir parfois le tournis ou de le donner à d’autres. Défi du judaïsme que d’avancer sans tomber et sans se perdre.

C’est bien parce que c’est un défi angoissant qu’il a suscité en son sein un antidote. Le judaïsme talmudique dont nous sommes tous issus est le résultat d’une confrontation entre l’école de Shammaï, plutôt fermée, et peu ac- cessible aux nouveautés, et l’école de Hillel, plus ouverte et encline aux adaptations. Comme toute schématisation, elle souffre des contrexemples qui ne remettent cependant pas en cause cette dualité de fond. Le judaïsme orthodoxe est plutôt le descendant de Shammaï, alors que le judaïsme non-orthodoxe est plutôt le continuateur de l’œuvre de Hillel, dont il faut rappeler que la Halakha a tranché en sa faveur, sans que les positions de Shammaï ne soient aucunement disqualifiées, mais simplement parce que l’école de Hillel donnait toujours la parole en premier à l’école de Shammaï. Ce n’est pas parce que l’on cherche à être dans la modernité que l’on a une quelconque supériorité, au contraire il faut savoir gré à Shammaï de préserver une certaine intransigeance, ce qui n’est pas facile en diaspora, mais l’est beaucoup plus en Israël, comme on le voit avec le développement fascinant et inquiétant pour l’avenir du pays d’un judaïsme ultra.

Mais si pour une partie du judaïsme orthodoxe rien de neuf n’est arrivé depuis la publication du שולחן ערִ֑וך Choul’han Aroukh par Joseph Caro en 1565, il nous appartient, à nous, de refaire vivre le mouvement, et de reprendre la geste d’Hillel.

Alors être en mouvement ?

« Un non juif demande à Shammaï de le convertir à condition qu’il puisse lui résumer la Torah tandis qu’il se tiendra sur un pied. Shammaï se met en colère et le frappe. Il va voir alors Hillel qui le convertit et lui dit : tout ce que tu as en haine ne le fais pas à autrui. C’est là toute la Torah. Le reste est son interprétation. Alors viens et étudie » (Chabbat 31a)
Voilà ce que Hillel demande à un converti. A fortiori ceux qui sont déjà juifs doivent déjà être versés dans les textes, et les convertis doivent les imiter.

 

Se mettre en mouvement, et cela vaut pour la très grande majorité des Juifs français, c’est se réapproprier l’étude, découvrir le sens que l’étude des textes donne à nos vies, l’horizon de compréhension qu’elle ouvre, le surcroît d’intelligence qu’elle nous procure. Etudier, c’est ce que nous ferons à Chavouot. Mais nous n’avons pas besoin d’attendre Chavouot, Internet nous donne accès à du matériel grâce auquel nous pouvons, seuls ou à plusieurs, en français ou en anglais, méditer chaque paracha, chaque fête. Avec Fabienne Sabban, dont c’est la responsabilité au sein du Conseil d’administration, nous vous proposerons de nouvelles possibilités d’étude en commun, de ‘havrouta.

 

Se mettre en mouvement, et cela vaut pour la très grande majorité des Juifs français, c’est se réapproprier l’étude, découvrir le sens que l’étude des textes donne à nos vies, l’horizon de compréhension qu’elle ouvre, le surcroît d’intelligence qu’elle nous procure. Donc JEM appelle à une mise en mouvement spirituelle, tant c’est bien de sens que l’étude est porteuse, et d’intériorité. Mais notre mouvement, qui est aussi un mouvement politique pleinement inscrit dans la politique du judaïsme en France, est aussi un mouvement centrifuge, en extériorité. Nous allons faire exister en France notre judaïsme, faire réentendre, dans notre actuel, la voix de Hillel, ce judaïsme ancestral, dont les maîtres sont tous les maîtres du Talmud. La modernité de Hillel aujourd’hui ? Mais l’égalité des hommes et des femmes, bien sûr !

Nous allons devoir nous faire connaître, faire identifier JEM par le grand public juif et par tous ceux nombreux, et encore plus nombreux depuis le 7 octobre, qui se sentent juifs, ont des racines juives ou qui simplement sont intéressés par le judaïsme. Car ne nous trompons pas sur la lecture des événements. Oui, il y a un nouvel antisémitisme islamogauchiste, antisioniste, détracteur du sionisme, opposé à sa promesse : l’émancipation, la fin de l’oppression et de la quasi dhimmitude des Juifs dans les sociétés européennes ou musulmanes. Oui, l’inquiétude nous traverse, surtout quand nos enfants vont à l’école ou dans un club de sport. Oui, un rabbin a été agressé à Orléans. Mais le bras du gouvernement ne tremble pas.

Il dispose d’une arme de destruction massive de l’utilisation de la religion à des fins politiques qui fait de la France, sous ce rapport, un pays admirablement unique : la laïcité, pour laquelle nous sommes des intransigeants. Avec ses encouragements, nous allons nous adapter à ce nouveau contexte, en renforçant la sécurité, et en réfléchissant à un plan pour le développement d’écoles juives selon notre vision du judaïsme et de la République.

Nous n’avons pas d’autre choix que d’être forts. Nous le devons à vous, et à tous ceux, nombreux, qui reviennent dans nos synagogues, ou qui veulent nous rejoindre, que le 7 octobre a tirés d’une certaine torpeur, qui entendent être ceux par lesquels la chaîne de la transmission se prolongera, qui y trouvent une certaine chaleur, un accueil vivant, à Paris et en région, là où nos synagogues se développent.

La remarque de Nietzsche est plus que jamais d’une ardente actualité : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (Crépuscule des Idoles). Que l’adversité nous renforce, que nous sortions encore une fois d’Egypte plus soudés, plus unis, plus réfléchis sur le sens de notre identité, en un mot : plus juifs.

Jean-François BENSAHEL 
Président de JEM