TT des parents : Israël, l’Iran et la Doctrine Begin en 2025 

18 juin 2025

Le Talmud Torah des parents par Emmanuel Calef, Rabbin en devenir. Ancien directeur des Talmudei Torah JEM. 

Le « Sale boulot pour nous tous » : Israël, l’Iran et la Doctrine Begin en 2025

Comprendre le moment décisif d'Israël : La frappe stratégique sur le programme nucléaire iranien

Un Guide communautaire pour la crise actuelle 

Alors que notre communauté observe avec inquiétude l’escalade de la situation entre Israël et l’Iran, de nombreuses familles se posent des questions fondamentales : Pourquoi maintenant ? Que signifie cela pour la sécurité d’Israël ? Et comment devons-nous comprendre ce moment dans le contexte plus large de l’histoire d’Israël ? Cette analyse vise à apporter de la clarté en ces temps incertains. 

Pourquoi c'était le bon moment : Une conjonction d'opportunités stratégiques

Le timing de l’Opération « Lion Rugissant » menée par Israël n’est pas le fruit du hasard. Plusieurs facteurs ont convergé pour créer une opportunité rare. 

La Crise du Seuil Nucléaire : En mai 2025, l’Iran avait accumulé 409 kg d’uranium enrichi à 60% de pureté (soit un bond de 50% depuis février). Cette quantité suffirait à fabriquer environ dix armes nucléaires si l’enrichissement était poussé plus loin. Juste un jour avant les frappes israéliennes, Le 12 juin 2025, le Conseil des gouverneurs de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) a officiellement déclaré l’Iran non conforme à ses obligations nucléaires, une première décision de ce type depuis 2005. Comme l’a averti un commandant américain, l’Iran était potentiellement à « quelques semaines » seulement d’acquérir la capacité de produire des armes nucléaires. 

Cette déclaration de non-conformité formelle ne saurait être considérée comme une surprise inattendue. Depuis plus de vingt ans, l’Iran entrave systématiquement la surveillance internationale. Plusieurs sites sensibles, tels que Varamin, Marivan, et Karaj, ont été régulièrement fermés aux inspecteurs de l’AIEA, qui ont malgré tout découvert des traces d’uranium inexpliquées. L’Iran a multiplié les explications techniques peu convaincantes, tenté de dissimuler des preuves, et même reconnu en 2025, par la voix de Mohammad Eslami, chef de l’Organisation de l’Énergie Atomique iranienne, que l’accord nucléaire de 2015 (JCPOA) et la résolution 2231 du Conseil de sécurité n’avaient souvent servi qu’à gagner du temps, plutôt qu’à exprimer de véritables engagements de transparence. 

Par ailleurs, même pendant la période du JCPOA, l’Iran a violé à plusieurs reprises les limites imposées, en maintenant un nombre excessif de centrifugeuses avancées et en dépassant les seuils d’eau lourde autorisés. Ce comportement récurrent illustre une stratégie durable de dissimulation qui nourrit la méfiance internationale.  

L'effondrement du réseau de proxies iraniens :

Le facteur le plus déterminant reste sans doute l’affaiblissement fondamental de la position stratégique de l’Iran, consécutif au démantèlement systématique de son réseau de milices et d’alliés régionaux. Ce réseau – comprenant le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, les milices chiites en Irak, les Houthis au Yémen et le régime d’Assad en Syrie – avait été patiemment tissé au fil des décennies pour former un arc de puissance iranienne s’étendant de la Méditerranée au golfe Persique. Cette constellation d’organisations armées constituait le principal moyen de dissuasion de l’Iran contre toute attaque directe sur son territoire. 

Avant le 7 octobre 2023, un conflit entre Israël et l’Iran aurait entraîné des coûts bien plus élevés : riposte du Hezbollah avec des salves massives de roquettes contre Israël, représailles iraniennes directes, attaques coordonnées d’autres forces supplétives iraniennes comme le Hamas, et menace terroriste internationale contre les intérêts israéliens. 

En juin 2025, ce tableau stratégique est complètement transformé : 

  • Hezbollah Dévasté : Israël a porté des coups décisifs au Hezbollah grâce à une campagne remarquable de renseignement et d’opérations militaires, notamment en décapitant sa direction par le biais de dispositifs de communication piégés. L’organisation qui possédait autrefois plus de 150 000 roquettes pointées vers Israël se trouve aujourd’hui sévèrement affaiblie. 
  • Hamas Dégradé : Bien qu’il continue de combattre à Gaza, le Hamas a perdu la plupart de ses dirigeants militaires et une grande partie de son infrastructure. L’organisation est considérablement plus faible qu’avant le 7 octobre. 
  • Bouleversement Stratégique Syrien : La chute du régime d’Assad a supprimé le corridor terrestre crucial permettant à l’Iran d’acheminer des armes vers le Hezbollah, et retiré un allié clé du dispositif régional iranien. 
  • Options limitées parmi les alliés restants : Les forces supplétives iraniennes qui subsistent – principalement les Houthis au Yémen et quelques milices irakiennes – n’ont pas la capacité de mener le type de représailles massives qui dissuadaient auparavant toute action israélienne.  

Les faiblesses militaires iraniennes mises à nu

Les tentatives de l’Iran d’attaquer directement Israël en avril et octobre 2024 ont été massivement neutralisées par les défenses israéliennes, soutenues par les alliés occidentaux. Malgré l’envoi de centaines de missiles et de drones, les dégâts causés sont restés limités. Les ripostes mesurées d’Israël ont visé des cibles bien protégées comme les systèmes de défense aérienne iraniens, démontrant la capacité de frappe israélienne à longue portée.

La Russie, distraite et impuissante - mais qui profite de la situation

Élément tout aussi déterminant : le plus puissant allié de l’Iran, la Russie, se trouve dans l’impossibilité de lui apporter une aide significative. Les ressources militaires russes sont massivement mobilisées dans la guerre en Ukraine, où Moscou a subi d’énormes pertes et peine à maintenir ses opérations offensives. Les forces de Vladimir Poutine, qui auraient pu auparavant dissuader une action israélienne par des menaces d’intervention ou de soutien militaire à l’Iran, donnent la priorité au front ukrainien. 

Le Kremlin doit cependant se réjouir en silence de voir l’attention occidentale détournée de l’Ukraine. D’ailleurs, tandis que la crise israélo-iranienne s’intensifiait, la Russie a lancé l’une de ses attaques les plus meurtrières contre Kiev, tuant 14 personnes et en blessant des dizaines d’autres – rappel brutal que pendant que l’Occident se tourne vers le Moyen-Orient, Poutine poursuit sa guerre brutale contre l’Ukraine. Cette diversion stratégique signifie que l’Iran affronte Israël pratiquement seul, tandis que la Russie profite de la situation pour intensifier sa propre agression.

L'échéance diplomatique

Le délai de 60 jours accordé par le président Trump à l’Iran pour parvenir à un accord nucléaire venait d’expirer, supprimant ainsi un obstacle américain potentiel – celui de reprocher à Israël de torpiller les efforts diplomatiques. Par ailleurs, la stratégie iranienne visant à exploiter les négociations pour gagner du temps et poursuivre son programme nucléaire rendait illusoire toute prolongation des pourparlers.

La supériorité du renseignement

Les opérations israéliennes précédentes contre le Hezbollah et l’Iran ont révélé une infiltration remarquable de ces organisations, laissant supposer qu’Israël disposait d’informations de première main sur les installations nucléaires iraniennes et leur personnel. Cette supériorité en matière de renseignement, conjuguée à la dégradation des défenses iraniennes, a créé des conditions opérationnelles exceptionnelles.

Les enjeux personnels et politiques : une réalité ambiguë

Bien que les arguments stratégiques en faveur de cette opération soient très solides, il convient d’examiner avec franchise les dimensions politiques qui préoccupent de nombreux observateurs.

Les retombées politiques favorables à Netanyahu

Ces frappes ont procuré à Netanyahu un gain politique considérable. Yair Lapid, le chef de l’opposition qui poussait encore quelques jours plus tôt au renversement du gouvernement Netanyahu, a suspendu ses critiques et apporté son soutien à l’opération. Les manifestations de masse contre Netanyahu ont été interrompues en raison de la situation sécuritaire, qui interdit les rassemblements publics.

Un calendrier qui interroge

L’escalade israélienne avec l’Iran survient quelques jours seulement après que la coalition de Netanyahu a frôlé l’effondrement. Le jeudi 12 juin 2025, le Premier ministre venait de sauver in extremis sa coalition lors d’un vote de défiance, au terme d’un débat houleux sur l’exemption du service militaire pour les ultra-orthodoxes. Cette coïncidence temporelle soulève des questions légitimes.

Un modèle inquiétant

Nombreux sont ceux qui, en Israël, accusent Netanyahu de prendre des décisions militaires en fonction de ses propres intérêts politiques, se rendant dépendant du conflit pour préserver sa coalition plutôt que de risquer la chute de son gouvernement et un règlement de comptes public sur ses échecs.

Contextualiser 50 Ans d'Action Préventive : La Doctrine Begin à l’œuvre

Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, nous devons nous replacer dans la stratégie plus large de lutte contre la prolifération nucléaire menée par Israël, qui a constamment protégé non seulement Israël, mais également la stabilité mondiale.

La Doctrine Begin (1981 à nos jours)

La Doctrine Begin a établi la politique d’Israël de frappes préventives contre les installations nucléaires des ennemis potentiels. Depuis 1981, cette doctrine a été appliquée trois fois avec une remarquable cohérence : 

  • Irak (1981) : Destruction du réacteur Osirak quelques semaines avant sa mise en service 
  • Syrie (2007) : Élimination de l’installation d’Al-Kibar avant le début de la production de plutonium 
  • Iran (2025) : Frappe des installations nucléaires alors que les stocks d’uranium atteignaient le seuil critique

Le lien français

Pour notre communauté française, il convient de souligner le rôle complexe de la France dans cette histoire. La France a fourni à l’Irak la technologie du réacteur Osirak dans les années 1970, malgré les mises en garde israéliennes sur ses applications militaires potentielles. Bien que les responsables français aient exigé des garanties, celles-ci se sont révélées insuffisantes pour empêcher le développement d’armements. Ce scénario s’est répété avec d’autres nations européennes qui ont fourni des technologies à double usage, favorisant ainsi le programme nucléaire iranien malgré les sanctions internationales.

La validation par l'histoire

Bien qu’initialement controversées, ces actions ont été systématiquement justifiées par les événements ultérieurs. Le cas syrien est particulièrement éclairant : imaginez si Daech, qui contrôlait cette région de 2014 à 2017, avait eu accès à des matériaux nucléaires La seule perspective fait froid dans le dos.

Le dilemme des démocraties

À chaque fois, les nations démocratiques connaissaient les menaces mais se sont montrées incapables ou réticentes à agir de manière décisive. Les gouvernements européens, France comprise, ont souvent privilégié les relations commerciales et l’engagement diplomatique au détriment de la lutte contre la prolifération. Cette tendance persiste aujourd’hui : les nations européennes critiquent souvent les actions israéliennes sans proposer d’alternative efficace pour empêcher la prolifération nucléaire.

Un bénéfice plus large

Bien qu’Israël agisse principalement pour sa propre sécurité, ces interventions ont constamment empêché la prolifération nucléaire dans la région la plus instable du monde. Chaque frappe réussie a préservé le régime mondial de non-prolifération que la France, en tant que puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a tout intérêt à maintenir.

Le Contexte Mondial : Les Dictatures Sous Pression, de Téhéran à Moscou

Bien que cette crise concerne avant tout Israël et l’Iran, elle s’inscrit également dans une dynamique mondiale plus large où les régimes autoritaires subissent une pression croissante et perdent du terrain.

Le cercle se resserre autour de Poutine

Pendant plus d’une décennie, la Russie, l’Iran et, dans une certaine mesure, la Chine ont formé un bloc informel rejetant les valeurs et le mode de vie occidentaux et se soutenant mutuellement sur les plans économique, militaire et idéologique. Mais des fissures commencent à apparaître.

L'affaiblissement du soutien iranien à la Russie

L’Iran, l’un des rares partenaires fiables de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, subit désormais d’énormes pressions internes et externes. Sa capacité à soutenir la Russie par l’exportation de drones ou le contournement des sanctions risque d’être gravement compromise par l’opération israélienne et les troubles internes iraniens. Les drones Shahed qui ont terrorisé les villes ukrainiennes sortaient des chaînes de production iraniennes : des capacités de production qu’Israël a désormais prises pour cible.

La perte de la Syrie

La chute du régime de Bashar El Assad prive Poutine de l’un de ses derniers bastions moyen-orientaux. La Syrie n’était pas seulement un État client russe, mais aussi un terrain d’essai pour les armes et tactiques russes aujourd’hui utilisées en Ukraine. La perte de cette plateforme, conjuguée à l’affaiblissement de l’Iran, isole de plus en plus la Russie dans la région.

Des alliances qui s'effritent

Si l’Iran se replie sur lui-même ou voit ses capacités militaires affaiblies, la Russie risque de perdre un fournisseur essentiel de technologies de drones ainsi qu’un allié précieux pour contourner les sanctions internationales. Certes, la Corée du Nord et le Belarus demeurent des partenaires, mais ils sont moins fiables et plus coûteux à maintenir, tout en disposant de capacités technologiques limitées.

Les répercussions sur la guerre d'Ukraine

Un Iran affaibli nuit indirectement à l’effort de guerre de Poutine. Cela peut réduire les flux de technologies d’armement et de ressources, contraindre Moscou à mobiliser davantage d’actifs ailleurs, et démontrer que les régimes autoritaires peuvent se révéler vulnérables face à une pression suffisante.

L'incohérence démocratique

Le contraste avec l’Ukraine est révélateur – et quelque peu gênant. Alors que les démocraties occidentales se sont ralliées relativement vite pour soutenir l’Ukraine contre l’agression russe, leur réponse au programme nucléaire iranien s’est montrée bien plus hésitante et divisée. Les nations européennes, France comprise, ont souvent privilégié l’engagement diplomatique et les relations commerciales au détriment d’une action décisive contre les avancées nucléaires iraniennes. Les États-Unis eux-mêmes se sont régulièrement opposés aux frappes israéliennes contre l’Iran, préférant des négociations que l’Iran a systématiquement exploitées pour gagner du temps.

Une incompréhension culturelle fondamentale

Cette approche occidentale se heurte à une différence psychologique et culturelle profonde. Dans la culture de négociation iranienne, « signaler un désir de parler avant d’être victorieux est, aux yeux des Iraniens, un signe de faiblesse ou de manque de volonté de gagner ». Les négociations sont perçues comme « des opportunités de dominer les autres, de démontrer sa puissance, et de s’assurer que les opposants savent qui commande ». 

Cette approche s’enracine dans des concepts théologiques chiites comme la taqiyya – « l’idée qu’un croyant peut dissimuler sa vraie foi ou agir contre elle si nécessaire pour sa survie ou pour le bénéfice futur de la nation musulmane ». Un proverbe persan illustre parfaitement cette mentalité : « Trouble les eaux – et tu pourras attraper le poisson », caractérisant une méthode de négociation qui vise « non pas à parvenir rapidement à un accord, mais plutôt à épuiser, à obscurcir, à tourner en rond, et finalement – à attraper le poisson ». 

Les dirigeants iraniens ont même publiquement reconnu cette approche : Mohammad Eslami, chef de l’Organisation de l’énergie atomique iranienne, a admis en 2025 que l’accord nucléaire de 2015 et la résolution 2231 du Conseil de sécurité « étaient souvent utilisés que pour gagner du temps, plutôt que comme de véritables engagements de transparence »

Quand les démocraties peinent à agir

L’Iran a progressé vers le seuil nucléaire malgré des années de prise de conscience occidentale, de sanctions et d’efforts diplomatiques. Les négociations du JCPOA, que de nombreux dirigeants européens ont défendues, ont finalement procuré à l’Iran un allègement des sanctions sans empêcher ses avancées nucléaires. Les entreprises européennes ont maintenu leurs relations commerciales, renforçant ainsi le régime iranien même pendant qu’il réprimait brutalement son propre peuple et alimentait la machine de guerre de Poutine.

Pourquoi cela concerne la France et l'Europe

Il ne s’agit pas uniquement d’une affaire moyen-orientale. Le programme de missiles balistiques iraniens menace directement l’Europe, et son soutien à l’effort de guerre russe a prolongé les souffrances ukrainiennes. Pourtant, les réponses européennes ont souvent été réactives plutôt que préventives. La réalité inconfortable, c’est qu’Israël s’est une fois de plus retrouvé à agir seul lorsque les solutions diplomatiques se sont révélées inadéquates et que les alliés occidentaux se sont montrés peu disposés à prendre des mesures décisives. 

La leçon à retenir n’est pas que les démocraties sont particulièrement unies ou résolues, mais plutôt que parfois, les nations démocratiques doivent agir individuellement quand l’action collective fait défaut. La France, qui a historiquement su comprendre la nécessité d’une action indépendante lorsque ses intérêts vitaux sont en jeu, pourrait peut-être mieux saisir cette réalité.

La Division Sunnite-Chiite : Le Soulagement Caché Derrière les Condamnations Publiques

Derrière les réactions publiques mesurées des pays arabes se cache une réalité religieuse plus complexe qui a façonné la politique moyen-orientale pendant des siècles, et aide à expliquer la véritable réponse arabe aux frappes israéliennes contre l’Iran. 

Le schisme ancien

La division entre musulmans sunnites et chiites constitue la plus ancienne et la plus importante fracture de l’histoire de l’Islam. Les sunnites représentent 85 à 90 % de la population musulmane mondiale (1,5 milliard de personnes) et se concentrent dans des pays comme l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte, tandis que les musulmans chiites ne représentent que 10 % (154 à 200 millions), principalement en Iran. 

La compétition religieuse moderne

La révolution iranienne de 1979 a bouleversé l’équilibre régional : l’Iran, devenu république islamique chiite, s’est affirmé comme une puissance théocratique déterminée à exporter son modèle, contestant ainsi l’influence historique de l’Arabie saoudite sunnite. Cette mutation a profondément alarmé les monarchies arabes sunnites du Golfe — notamment l’Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn — ainsi que l’Irak baasiste. Ces États, avec d’importantes minorités chiites à l’intérieur de leurs frontières, ont ressenti une menace existentielle. 
Conséquence : la région est entrée dans une compétition géopolitique et économique intense, s’exprimant à travers des conflits par procuration (en Irak, au Liban, au Yémen), alors que chaque camp tentait d’étendre sa sphère d’influence sur un Moyen-Orient profondément sectaire. 

Les guerres par procuration religieuse

Pendant des décennies, l’Iran et l’Arabie saoudite se sont livrés un conflit par procuration mené sur plusieurs fronts concernant l’influence géopolitique, économique et sectaire dans la quête de l’hégémonie régionale. De la Syrie au Yémen, de Bahreïn à l’Irak, cette compétition s’est exprimée en termes religieux, l’Iran se posant en champion des musulmans chiites du monde entier tandis que l’Arabie saoudite revendique la direction du monde sunnite. 

Le paradoxe arabe : condamnation publique, soulagement privé

Les pays arabes de la région ont émis les condamnations publiques de rigueur. L’Arabie saoudite a dénoncé ce qu’elle a qualifié d’« attaques israéliennes odieuses contre la République islamique sœur d’Iran », tandis que le ministère des Affaires étrangères des Émirats arabes unis a souligné la nécessité du « dialogue, du respect du droit international et de la souveraineté des États ». 

Cependant, les analystes observent que « beaucoup applaudissaient en silence les attaques israéliennes » malgré leurs condamnations publiques. Comme l’a relevé Sanam Vakil, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du think tank Chatham House, « les États du Golfe se trouvent pris entre le marteau et l’enclume… ils applaudissent silencieusement l’affaiblissement supplémentaire de l’Iran, mais ils font face à de véritables risques et doivent jouer leurs cartes avec précaution ». 

Le calcul sectaire

Pour les dirigeants arabes sunnites, le programme nucléaire iranien représente non seulement une menace régionale, mais un défi existentiel à l’hégémonie arabe sunnite dans le monde musulman. L’ascension de l’Iran comme puissance régionale, avec les changements politiques et démographiques au Liban favorisant les chiites, a intensifié les préoccupations sunnites concernant leur hégémonie arabe sunnite. Un Iran doté de l’arme nucléaire affirmerait la domination perse chiite sur le monde arabe, une perspective qui terrifie les monarchies sunnites plus qu’elles ne l’admettent publiquement. 

Le fond du problème

Derrière le langage diplomatique de souveraineté et de droit international, les États arabes sunnites perçoivent les frappes israéliennes à travers un prisme religieux. Bien qu’ils ne puissent pas célébrer publiquement l’humiliation d’une nation musulmane sœur, la perspective d’un Iran affaibli – porte-étendard du pouvoir chiite – progressant vers la capacité nucléaire représente, en termes sectaires, une victoire stratégique pour les intérêts arabes sunnites qu’ils accueillent discrètement, même si elle est obtenue par des avions de chasse israéliens. 

La reconnaissance occidentale : « le sale boulot pour nous tous »

La validation la plus frappante de l’action israélienne est venue d’une source inattendue : le chancelier allemand Friedrich Merz a fait des déclarations remarquablement franches qui reflètent ce que de nombreux dirigeants occidentaux pensent sans jamais l’exprimer publiquement. 

Un soutien explicite

S’exprimant en marge du sommet du G7 au Canada, Merz a ouvertement soutenu les frappes israéliennes dans des interviews accordées aux chaînes allemandes ZDF et Welt TV, déclarant : « C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous. »

Une reconnaissance stratégique

Le chancelier allemand a exprimé son admiration pour le « courage » dont fait preuve Israël en accomplissant « ce sale boulot », ajoutant que « sinon, nous aurions peut-être continué à subir pendant des mois et des années le terrorisme de ce régime, qui aurait peut-être même fini par se doter de l’arme atomique ».

L'analyse de la menace iranienne

Merz a décrit l’Iran comme une puissance qui a « semé la mort et la destruction dans le monde » avec « le Hezbollah, le Hamas » et par « la livraison de drones à la Russie », établissant ainsi un lien explicite entre le programme nucléaire iranien et son soutien à la guerre de Poutine en Ukraine.

L'évaluation des résultats

Selon le chancelier, les attaques israéliennes ont « considérablement affaibli » le régime iranien, qui « ne reviendra probablement pas à sa force d’avant », rendant « l’avenir du pays incertain ».

Cette déclaration extraordinaire d’un dirigeant européen majeur confirme ce que beaucoup soupçonnaient depuis longtemps : alors que les démocraties occidentales prônent publiquement la retenue et les solutions diplomatiques, elles admettent en privé qu’Israël s’attaque à une menace qui concerne toutes les nations démocratiques, mais qu’elles-mêmes ne sont ni disposées ni capables d’affronter militairement. 

Conclusion : une convergence de facteurs décisive

L’opération israélienne contre l’Iran illustre une convergence exceptionnelle de dynamiques géopolitiques de long terme et de circonstances tactiques favorables. D’un côté, les constantes structurelles : la progression inexorable du programme nucléaire iranien vers le seuil critique, l’application de la doctrine Begin établie depuis 1981, et la rivalité confessionnelle séculaire entre puissances sunnites et chiites au Moyen-Orient. 

De l’autre, un alignement circonstanciel inédit : l’effondrement du réseau de substituts iraniens après la chute d’Assad et l’affaiblissement du Hezbollah, l’enlisement de la Russie en Ukraine qui prive Téhéran de son principal soutien, et l’expiration des délais diplomatiques américains qui levait les derniers obstacles politiques à l’action. 

Cette fenêtre d’opportunité, où les risques stratégiques atteignaient leur maximum tandis que les coûts tactiques touchaient leur minimum, explique le timing d’une opération longtemps envisagée mais jusqu’alors reportée. Reste à déterminer si cette action marquera un tournant durable dans l’équilibre régional ou ne constituera qu’une pause dans la course aux armements nucléaires au Moyen-Orient.