7 Octobre, manifeste contre l’effacement d’un crime
La soirée autour du livre 7 Octobre. Manifeste contre l’effacement d’un crime a marqué nos esprits. Merci à David Reinharc, l’éditeur de ce livre et initiateur de ce beau projet collectif avec Guy Bensoussan et Sarah Fainberg. Découvrez son discours qui a introduit avec grande émotion cette soirée organisée pour ne jamais oublier les victimes du 7 Octobre.
J’ai été chargé d’introduire la lecture des noms des victimes les plus jeunes du 7 octobre par la jeunesse de Judaïsme en Mouvement (JEM). J’aimerais alors placer cette lecture sous le patronage de Woody Allen. Plus précisément d’un film du cinéaste américain, New York Stories, dans lequel la mère juive apparaît dans les nuages surplombant le loft du personnage, pour surveiller en permanence depuis le ciel ses faits et gestes.
Depuis l’enfance, j’imagine le surgissement inopiné de mon grand-père, de mes oncles et tantes morts à Auschwitz, dont les cendres furent éparpillées dans le vent polonais, et j’imagine, quand je regarde au-dessus de moi, que derrière un nuage, l’escorte secrète de ces fantômes me suit. Je suis leur serviteur et dans la crainte et le tremblement, ne souhaite point d’autres maîtres.
Le 7 octobre 2023, plus de 1 160 personnes brutalement assassinées parce que juives, sont venues rejoindre l’escorte secrète de ces fantômes qui me suivent depuis toujours et en permanence.
La vraie bonté de l’homme, disait Milan Kundera, ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité, ce sont les relations avec ceux qui sont à sa merci – et les morts sont à notre merci. Ils dépendent entièrement de notre fidélité.
Aussi, parce que je conçois que la littérature est là pour corriger l’abstrait de l’Histoire, parce qu’elle est la concrétisation de l’abstrait de l’Histoire, parce qu’elle vient à notre secours pour corriger l’indifférence des données historiques, j’ai voulu que, pour la première fois dans l’histoire de l’édition, chaque exemplaire porte sur la couverture un nom différent, celui de l’une des 1 160 victimes du 7 octobre 2023 massacrées à bout portant juste parce qu’elles étaient juives, dont nous allons faire la lecture des noms dans un instant.
Chaque exemplaire de ce livre échappe à la sérialité, chaque livre porte un nom propre différent, et sur le rabat de chaque couverture, j’ai tenu à ce que soit ajoutée une notice biographique de la personne à qui l’exemplaire est dédié. C’est une première dans l’histoire de l’édition, je l’ai dit, et ce fut aussi une prouesse technique, car nous voulions que chaque livre témoigne de l’humanité de chaque homme, de l’unicité irréductible de chaque être, un être unique, irréparable, ininterchangeable, que rien jamais ne remplacera.
Je voudrais remercier infiniment ici tous les membres de JEM, qui nous permettent ce soir d’accomplir ce que nous considérions être notre tâche et notre mission, qui est, cette mission, et à notre juste et modeste mesure, de remettre au langage et au monde tous ceux que leurs bourreaux ont voulu effacer du Livre de la vie et de la mort, tous ceux qui ont été exclus du symbolique tout court. Car il nous appartient, à nous autres, êtres vivants et parlants, d’être les tombeaux vivants des morts dont la mort fut programmée pour être une mort sans trace, sans vestige, sans sépulture. Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs… Nous sommes les tombeaux de nos pères… Ce sont les mots d’un grand poète français, Charles Baudelaire, cités par Bernard-Henri Lévy.
Je voudrais les remercier de nous avoir offert la possibilité, en prolongeant notre projet livresque par la lecture des noms, de réciter le kaddish, la prière des morts. Nous refusons de nous laver les mains de toute la chair juive partie en cendre et en fumée, certains décapités, d’autres carbonisés, d’autres le corps percé de balles.
Je veux dire ma gratitude à tous les contributeurs du livre, à ceux que nous avons conviés ce soir, qui nous ont fait don d’un texte et aujourd’hui de leur présence, tous m’ont fait cadeau d’une chose qui n’a pas de prix : quand je regarde au-dessus de moi, derrière les nuages, et que je comparais devant l’escorte secrète de tous mes fantômes, je ne rougis pas.
Le yiddish était la langue maternelle de mon père, aussi pour finir je souhaiterais dans cette langue vous remercier à tous d’être ici présents ce soir. Mir Zaynen Do ! « Nous sommes là », c’est ce que chantaient les partisans juifs du ghetto de Wilno.
Chaque fois qu’un Juif parle il compte ses morts. Chaque fois que nous entendons des bouches juives parler, c’est comme une voix absente, perdue, celle des morts, qui résonnent.
“Mais le judaïsme nous enseigne aussi l’amour de la vie.”
Alors pour ne pas que les générations à venir, ces jeunes qui dans un instant vont faire la lecture des noms, de notre chagrin, ne retiennent que les larmes, il nous fallait élaborer un livre de combat, qui soit un éloge de la vie, un éloge de la guerre contre nos ennemis, la guerre comme besoin impérieux, recours moral, nécessité éthique autant que politique.
Merci à tous ceux qui se sont joints avec nous aux Absents, pour dire dans le même mouvement que nous autres, êtres vivants qui portons en nous le souvenir de ces pères qui auront, à jamais, l’âge de leurs enfants, nous sommes là présents pour eux. Merci à chacun par votre présence de tenter avec nous de soustraire à la victoire du Mal, ce que Vassili Grossman, cité dans le livre par Béatrice Berlowitz, nomme : une minuscule graine d’humanité.
À nous, aujourd’hui, comme depuis des millénaires, de faire le choix de la vie, et d’envoyer à nos morts un baiser dans la nuit, à travers les étoiles. Lehaïm !
Je souhaite également remercier infiniment Hélène Attali et Charlotte Sarrola, pour avoir fait passer avec l’intelligence du cœur et de l’esprit qui les caractérisent, ce projet de soirée commémorative de la conceptualisation à la réalisation.