Talmud Torah des parents : Et si on utilisait les bons mots ? Épisode 6

« Israël est un régime d’apartheid ! Israël commet un Génocide en Palestine ! » 

Ces accusations fleurissent partout sur internet et en janvier 2024 l’Afrique du Sud a même saisi la Cour Internationale de Justice pour accuser Israël de Génocide. Mais les mots ont un sens, et que veulent dire vraiment ces deux-là, si chargés historiquement et émotionnellement ? 

Etymologie 

Le mot apartheid est un mot afrikaans (langue issue du néerlandais, parlée en Afrique du Sud, en Namibie et d’autres pays africains) dérivé du français « A part » rassemblé en un seul mot (qu’on retrouve dans l’anglais « apart ») auquel on ajoute le suffixe germanique « -heid » (typique du néerlandais) qui signifie « le fait de » ou « la situation de ». « Apartheid » est donc étymologiquement simplement « le fait d’être à part ». 

Histoire 

Initialement le mot a un sens théologique et semble apparaître pour la première fois en 1929 dans un discours de Jan Christoffel du Plessis, pasteur de la Dutch Reformed Church. 

La théologie qui mènera à l’apartheid commence dès l’arrivée des Boers en Afrique du Sud. Au XIX° siècle, sous la direction de pasteurs influents, s’ancre l’idée que -dans leur lecture de la Bible- l’être humain a, dès le départ, été créé varié, multiple, et donc nécessairement… inégal. C’est l’histoire des fils de Noé et de la malédiction des descendants de Cham condamnés à servir les descendants de ses deux frères, qui fonde la théologie de l’apartheid. Ce qui, pour deux yeux juifs, est choquant en ce sens que cela oublie l’affirmation d’égalité de l’origine de tous les êtres humains de par leur unique ancêtre commun : Adam. Ce qui rassemble les parties de l’humanité similaires, c’est le concept de nation (‘Volk’ en Afrikaans) et pour les pasteurs afrikaners les ‘nations’ sont créées par Dieu et doivent rester ‘pures, inviolées’ d’où l’idée de bien séparer les nations… l’idée d’apartheid était née. 

Au départ, l’apartheid n’était donc pas une forme de fascisme mais bien de calvinisme! Mais au final, ce qui en fera un mouvement qui dépassera la simple théologie est bien plus une question d’argent, de pouvoir et de domination que de religion : qui aura les meilleures terres et les meilleures mines d’or et de diamant. 

Le mot prend un sens politique en 1948 avec l’arrivée au pouvoir du « Parti National Purifié (sic !) en Afrique du Sud qui promulgue instantanément des lois de ségrégations raciales. Il faudra attendre 1991 pour que ces lois soient abrogées. 

La Loi internationale 

Le crime d’apartheid est aujourd’hui défini légalement précisément[1]. Le Statut de Rome[2] créant la Cour Pénale Internationale, comme un crime contre l’humanité. La Convention pour l’Élimination et la Répression du crime d’Apartheid de 1973 le définit comme « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ». 

L’analogie entre la situation en Israël et l’apartheid sud-africain a-t-elle un sens ? 

Benjamin Pogrund est un journaliste né en Afrique du Sud en 1933. Il a couvert le massacre de Sharpeville en 1960 et vivant en Israël connait en détail aussi bien le régime d’apartheid sud-africain que l’Israël moderne et publie de nombreux articles insistant sur la différence profonde des deux. 

En 2055, dans un article intitulé « Israël est une démocratie dans laquelle les arabes peuvent voter »[3], il écrit : « L’apartheid est mort en Afrique du Sud mais le mot est bien vivant dans le reste du monde, notamment pour décrire de prétendus abus d’Israël. Israël est accusé par certains d’être « le nouvel État de l’apartheid ». Si c’était vrai, il s’agirait d’une accusation grave, justifiant une condamnation et des sanctions internationales. Mais ce n’est pas vrai. Quiconque sait ce qu’était l’apartheid et qui connaît Israël aujourd’hui en est conscient. L’utilisation de l’étiquette d’apartheid est au mieux ignorante et naïve et au pire cynique et manipulatrice. » 

Le 22 mai 2015 il publie dans The Guardian un article intitulé « Il y a beaucoup d’injustices en Israël, mais ce n’est pas un état d’apartheid »[4] dans lequel il écrit : 

« Je connais Israël aujourd’hui – et j’ai connu de près l’apartheid. En termes simples, il n’y a aucune comparaison possible entre Israël et l’apartheid. Les Arabes d’Israël sont des citoyens à part entière. […] Introduire le mot émotif « apartheid » est non seulement incorrect, mais crée de la confusion et détourne l’attention du problème principal. […] Alors pourquoi l’accusation d’apartheid est-elle poussée avec tant d’acharnement, notamment par le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) ? Je crois que ces militants veulent qu’Israël soit déclaré État d’apartheid afin qu’il devienne un paria, ouvert aux sanctions les plus sévères du monde. Beaucoup souhaitent non seulement la fin de l’occupation, mais aussi la fin d’Israël lui-même. » 

Cependant, en 2023, il publie dans Haaretz un article intitulé « Pendant des décennies, j’ai défendu Israël contre les allégations d’apartheid. Je ne peux plus. »[5] et dans The Guardian « J’ai longtemps rejeté les affirmations selon lesquelles Israël serait un État d’apartheid. Maintenant, je crois que c’est dans cette direction qu’il se dirige. »[6] 

Peut-être est-ce un signal d’alerte que les juifs du monde entier doivent entendre ? 

Nous parlerons du mot « Génocide »… au prochain épisode !  

PS : Mais peut-être est-il bon avant de l’aborder, de contextualiser l’usage actuel de ce mot en relisant l’article de Gilles-William Goldnadel https://www.lefigaro.fr/vox/monde/gilles-william-goldnadel-pourquoi-l-afrique-du-sud-a-tort-d-accuser-israel-de-genocide-20240115  

[1] Résolution 3068 XXVIII de l’assemblée générale de l’ONU du 30 novembre 19731 

[2] 1998, entré en vigueur en 2002 

[3]https://web.archive.org/web/20071008080942/http://www.engageonline.org.uk/blog/article.php?id=487  

[4] https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/may/22/israel-injustices-not-apartheid-state  

[5] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-08-10/ty-article-opinion/.highlight/for-decades-i-defended-israel-from-claims-of-apartheid-i-no-longer-can/00000189-d4ac-d821-afdd-dfacb4060000  

[6] https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/aug/19/israel-apartheid-state-south-africa-netanyahu 

Emmanuel Calef, Directeur Pédagogique du Talmud Torah