Talmud Torah des parents : Épisode 4
Et si on utilisait les bons mots ? Palestine : histoire et géographie d’un nom…
Dans les 3 premiers épisodes, nous avons découvert qu’historiquement le mot «Palestine» ne désignait que la petite bande de côte correspondant peu ou prou à l’actuelle bande de Gaza, en rapport avec le peuple Philistin, qui disparaît entièrement de l’Histoire vers le VIème siècle avant notre ère. Le nom officiel du reste de la région était alors Judaea, autant dans les sources juives que non-juives, les documents officiels d’état, les pièces de monnaie et poteries d’époque. Sans la claire volonté de l’Empereur romain Hadrien d’éliminer toute trace de souveraineté juive sur ce morceau de terre, le nom serait resté Judaea. Il devient Syria-Palaestina au IIème siècle de notre ère. C’est la première fois que ce mot est utilisé comme désignation officielle de la région.
La Judée est le dernier état indépendant à exister sur cette terre jusqu’au milieu… du XXème siècle ! Dans les 2000 ans qui suivent le changement de nom imposé par l’empereur Hadrien, les juifs qui habitent cette terre, mais aussi tous les autres, vivent successivement sous la domination de divers empires : Romain, Byzantin, Arabe, Croisé, Mamelouk, Ottoman, Britannique.
Pendant ces 2000 ans, le mot «Palestine» désigne donc simplement une région de ces empires. Une région. Pas un état, ni une nation, ni un pays, pas une patrie ni même une entité de peuplement ethniquement cohérent. Le mot disparaît même quasiment complètement lors de la conquête par les Croisés : ils préfèrent appeler la région «Terre sainte» et l’état qu’ils fondent dessus le «Royaume de Jérusalem».
Lors de la reconquête musulmane, les mot Filastin et Urdunn employés auparavant disparaissent eux-aussi et n’apparaîtront plus du Moyen-Âge au XXème siècle.
Le mot «Palestine», s’il n’est pas d’usage officiel pendant toute cette période, réapparaît, de manière surprenante… dans le monde chrétien ! Pendant la période des croisades, et le reste du Moyen-Âge, c’est l’expression «Terre sainte» qui domine, mais la Renaissance amène le renouveau d’une fascination pour l’antiquité romaine et grecque et avec elle, la réapparition de l’ancien nom romain. Ce sont donc les européens chrétiens qui ramèneront ce nom dans la région. Le deuxième journal à paraître en arabe en Palestine en 1911 s’appellera Filastin et était édité par… un chrétien arabe de l’Eglise Orthodoxe.
Le traité de Londres de 1840 nomme la Palestine septentrionale indifféremment «Syrie du Sud», et la diplomatie française, avant la Première Guerre mondiale, ne distinguait pas entre Syrie et Palestine.
Le mot «Palestine» n’a donc à l’époque pas de définition précise. L’Encyclopedia Britannica de 1910 donne d’ailleurs : «Palestine : un nom géographique d’application vague. Etymologiquement, il ne devrait désigner que la petite bande côtière occupée il y a longtemps par les Philistins. On l’utilise cependant aujourd’hui conventionnellement pour désigner le territoire dont les Hébreux héritent dans l’Ancien Testament […] Le Jourdain marque une délimitation naturelle entre Palestine de l’Ouest et Palestine de l’Est, mais il est en pratique impossible de dire où celle-ci se termine et où commence le désert d’Arabie.»
Comme l’affirme l’historien arabe palestinien Muhamma Y. Mulsih, pendant toute la période Ottomane (1517-1918), «il n’y avait pas d’entité politique unie appelée ‘Palestine’»
Quand l’Empire Ottoman s’effondre et que l’Empire Britannique obtient de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) mandat pour gérer le territoire (1920), le nom reste. C’est la toute première fois dans l’histoire qu’il est associé à des frontières précises. Mais pas exactement celles auxquelles nous sommes habitués aujourd’hui à associer au mot « Palestine » :
“Mais qui dit « Palestine » dit-il forcément « Palestinien » ?”
A ce moment-là, comme c’est le cas depuis 1800 ans après la chute de la Judée, ce n’est toujours pas un état indépendant. Pour cela il faudra attendre 1948, mais ce ne sera pas sous le nom de « Palestine », mais sous le nom d’ « Israël » que le premier état indépendant verra le jour sur cette terre.
Mais qui dit « Palestine » dit-il forcément « Palestinien » ? Ce n’est pas parce que le substantif « Palestine » a existé, qu’il implique automatiquement l’utilisation de l’adjectif ou du nom « palestinien »… et nous verrons que justement, le mot « palestinien » aura un usage au cours du temps bien particulier. Mais ça… c’est le prochain épisode.
Emmanuel Calef
Directeur pédagogique du Talmud Torah JEM